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grand-duc qu’on l’avait trompé, que le saint-office poursuivait en Tommaso Crudeli la société des francs-maçons. Ce rapport proposait d’exiger de la cour de Rome qu’elfe autorisât la présence d’un commissaire du gouvernement aux procès intentés par l’inquisition, faute de quoi l’assistance du bras séculier loi serait refusée. Mais, en transmettant ces deux pièces à son maître, Richecourt le conjurait d’en garder le secret, pour que les parens du détenu ne fussent pas inquiétés. La précaution peut paraître étrange, elle n’était que légitime. Les lettres du nonce an grand-duc, lesquelles sont aux archives de Florence, lui représentaient, dans le même moment, le secrétaire du droit royal comme incapable de méthode et de suite, — il n’en était que trop capable au gré de son accusateur, — ignorant du droit canonique et du droit civil, plein de haine envers le clergé, haï lui-même de toutes gens, grands et petits. Si le rapport de Rucellai avait été connu, ce courageux ministre n’aurait pu rester dans son pays.

L’inquisiteur, de son côté, n’avait pas non plus les coudées franches. Cette bulle, qui n’avait pu être publiée, menaçait uniquement ceux qui persisteraient à rester francs-maçons. Or, de réunions il ne s’en tenait plus, ni dans la loge ni chez le baron Stosch. Il fallait donc, si l’on voulait frapper Crudeli, qu’il se livrât lui-même par d’imprudens aveux. De là les visites fréquentes que loi faisait le vicaire du saint-office. Enfin, le 10 août, après trois longs mois de détention, le prisonnier, sur ses instances répétées, fut conduit devant son juge. Ce juge était assisté de son chancelier, rédacteur obligé des interrogatoires, « homme aussi habile à les embrouiller que faible sur la syntaxe et ignorant de la ponctuation, de l’orthographe, comme il appert du procès. »

Le père Ambrogi, avec une politesse toute toscane, s’excusa d’un retard qui n’avait point dépendu de lui. Sans les obstacles suscités, « sa seigneurie excellentissisme, admise à se défendre, serait déjà ou condamnée à Rome ou rendue à la liberté. » Puis, il invita le prévenu à prêter sur l’évangile serment de dire la vérité, usage abusif des anciens tribunaux, aboli en Toscane, pour les tribunaux civils, depuis 1670, et, procédant aussitôt à l’interrogatoire, il demanda à Crudeli pour quelle cause sa seigneurie pensait avoir été mise sous les verrons.

— C’est peut-être, répondit Tommaso, pour avoir deux ou trois fois mangé de la viande le vendredi et le samedi ; mais j’avais la permission du médecin. C’est peut-être aussi pour avoir assisté à quelques réunions des Friméçons ; mais, par obéissance à la bulle, je m’en suis retiré ; je me suis même entremis auprès du résident britannique pour qu’elles cessassent complètement, comme elles ont cessé en effet.