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défense. Il y croyait plus qu’à cent échelles pour recouvrer sa liberté. Combien n’eût-il pas été plus résolu encore à ne point disputer au saint-office les restes de sa misérable vie, s’il avait su ce qui se passait autour de lui ! Son frère Antonio, rôdant sans cesse autour de la prison, avait éveillé les soupçons de l’inquisiteur. L’inquisiteur enjoignait au bargello, — un magistrat d’ordre inférieur, qui tenait du directeur des prisons, de l’exécuteur des hautes-œuvres et du préfet de police, — de surveiller les abords, de ne laisser sortir, entrer, approcher personne. Le bargello, en subalterne bien appris, ayant cru devoir en référer au comte de Richecourt, le chef du conseil des finances lui déclarait qu’il ne se pouvait découvrir contraire au saint-office et qu’obéir à l’ordre donné était nécessaire. Timide à l’égal de son maître, le ministre trouvait du moins son excuse dans l’exemple donné de si haut.

Plus hardi et plus résolu, Antonio Crudeli ne voulait pas en démordre : au jour fixé, il tenta, contre vent et marée, de sauver son frère. Il parvint à déjouer une surveillance de comparses, trop peu zélés pour être bien sévères, et une fois au pied des murs de Santa-Croce, il fit le signal convenu. Étrangement surpris qu’on ne tînt pas plus de compte de sa volonté, le prisonnier ne voulut pourtant pas, en s’abstenant de répondre, provoquer un nouvel appel à voix plus haute, ce qui eût éveillé ses gardiens et compromis l’obstiné Antonio. Il jeta donc sa corde et la retira avec le paquet. Mais qu’allait-il en faire, puisqu’il ne voulait pas s’en servir ? Il cacha la corde sous son matelas, cassa en trois le couteau, jeta le manche dans les latrines, dissimula la pointe dans une écorce d’orange, et, par une de ces imprudences qui ne s’expliquent guère, laissa le troisième morceau dans la gaine, sur l’appui de sa fenêtre. Or, malgré les précautions prises, le frère gardien avait entendu quelque bruit. Ses chefs avertis ordonnèrent une perquisition dans la cellule et jusque sur la personne de leur proie. A la corde, aux fragmens du couteau, facilement trouvés, s’ajoutèrent, comme pièces de conviction, la ficelle, l’encre de Chine qu’on découvrit dans ses poches. Le projet de fuite ne pouvait plus être nié, et en ce temps-là, avec de tels juges, essayer de fuir, c’était s’avouer coupable. Le malheureux fut ramené dans l’exigu réduit où il avait tant souffert aux premiers jours de sa captivité. Même, ne l’y croyant pas en sûreté pour la nuit, pendant trois nuits d’hiver, du 20 au 22 décembre, on l’enferma dans les fétides latrines, jusqu’à ce qu’on eut bardé de fer la porte et la fenêtre, sondé les murs de la chambre. Quand on l’y eut réinstallé, on lui signifia qu’à la moindre tentative de s’évader, il n’aurait plus d’autre prison que celle où il venait de passer trois nuits. D’ores et déjà, il ne devait plus être