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condamné : « Signor Crudeli, la sacrée congrégation a tant de motifs de voir en vous un impie que, sans vos maladies graves, elle vous aurait soumis à l’examen rigoureux. — Eh bien ! interrompit brusquement le poète, mes juges ont donc une grande obligation à mes maladies, puisqu’elles les empêchent de torturer un mourant. Ils auraient eu regret d’en avoir donné l’ordre sur la dénonciation d’un fou qui s’est rétracté. » L’inquisiteur, renonçant à poursuivre sa harangue, se borna aux paroles suivantes : « Si vous avez commis quelqu’une des fautes que vous niez, et si vous les avouez, votre peine pourra être diminuée et votre âme sera sauvée. — Ma peine ne m’effraie pas, reprit Crudeli ; même plus forte, elle ne m’effraierait pas encore ; mais je suis affligé de me voir méconnu par la sacrée congrégation. » Pour conclure, le père Ambrogi lui imposa de dire les sept psaumes de la pénitence une fois par mois pendant un an. Puis il lui fit jurer sur le missel, ouvert à l’évangile, de se soumettre à sa condamnation, et il le congédia. Les pièces officielles sont, bien entendu, muettes sur les sentimens des personnages de cette scène ; mais, avec un peu d’imagination, l’on peut les deviner.


VII

De sa retraite obligée en sa maison de Poppi, Tommaso Crudeli n’avait le droit de sortir que les jours de fête, pour aller, recto tramite, à la messe. Ce n’était pas un exercice suffisant pour soutenir ou remettre la santé d’un homme : l’église des moines de Vallombreuse était à quelques pas de son logis. Le vicaire forain du saint-office, un père Cocchini, l’assommait de ses visites, pour lui rappeler qu’il n’était pas libre, qu’il restait sous la main de ses juges, qu’il devait verser le montant de sa caution. Sur ce dernier point, il répondait que le comte de Richecourt l’avait autorisé à ne pas se soumettre » « Vos protecteurs, répliquait Cocchini furieux, ont été cause des longueurs de votre procès ; ils le seront des retards apportés à votre grâce. » On pouvait braver ; mais la menace était inquiétante, alors surtout que la maladie s’aggravait. Pour cette poitrine si compromise, un séjour prolongé dans la froide atmosphère du Casentino était comme une condamnation à la mort lente. Venu à Poppi au commencement de l’automne, alors que déjà y souffle la tramontane et que les sommets environnans de l’Apennin se couvrent de neige, ses médecins le déclaraient perdu s’il ne changeait de résidence. C’est pourquoi il demandait à Rome l’autorisation de se rendre à Pise ; mais il ne recevait point de réponse,