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nouvelle s’est substituée à une erreur ancienne. Que si d’ailleurs on prétend que l’occasion est rare de faire ces sortes d’expériences morales, que l’on m’explique donc par quel hasard il se trouve que le théâtre et le roman, ces deux imitations de la vie, nous les présentent si souvent en action ? Je n’ai besoin ni de sortir de France, ni de remonter bien haut dans l’histoire. Les exemples sont là sous ma main. J’ai demandé dans quelle mesure, et jusqu’à quel point, un fils était tenu de son devoir de fils envers son propre père ? Allez voir Maître Guérin. J’ai parlé des obligations qui pouvaient résulter pour un honnête homme d’un simple commerce de galanterie ? Allez voir le Demi-Monde, quoique je n’aie rien dit d’un autre cas de conscience, pour pouvoir joiadre aux noms de MM. Dumas, et Augier celui de M. Sardou, je veux mettre ici le titre de Daniel Rochat.

Préférez-vous peut-être le roman au drame ? C’est donc un cas de conscience que le Marquis de Villemer ; c’en est un second que le Roman d’un jeune homme pauvre ou l’Histoire de Sibylle ; et c’en est un troisième que Meta Holdenis. Mieux encore, dans une autre école, l’auteur de l’Évangéliste n’a pas pu s’empêcher d’y venir, et, — les dieux me pardonnent ! — l’auteur lui-même de la Joie de vivre. Oui, jusque dans les romans de M. Zola, il faut l’avouer, il y aurait des cas de conscience, si seulement les Quenu-Gradelle et les Rougon-Macquart avaient de la conscience ! Croira-t-on que d’un commun accord, tous ensemble, romanciers et dramaturges, se soient entendus pour mettre à la scène ou nous développer dans le roman des cas de conscience imaginaires, soigneusement choisis en dehors et comme au-dessus de la réalité ? Les aveux de quelques-uns d’entre eux, qui nous ont bien voulu mettre assez publiquement dans leur confidence, nous défendraient de le croire, si par hasard nous en étions tentés. Non ! mais, étant de leur temps, ils ont traité, selon les limites et avec les moyens de leur art, des questions de leur temps. Et s’il se trouve que ces questions aient jadis été traitées sous une autre forme, dans les écoles des philosophes et dans les compilations des casuistes, que faut-il en conclure, sinon que ces questions, malgré l’appareil scolastique, avaient d’abord été prises au vif de la réalité ? Ai-je besoin d’ajouter que les solutions qu’ils en ont données, et la quantité, si je puis ainsi dire, dont elles s’écartent de celles qu’on en avait données avant eux, mesurent ce que dans l’intervalle la morale a gagné ou perdu, — car elle gagne quelquefois, mais aussi quelquefois elle perd.

Ce que démontre ainsi la littérature, est-on curieux enfin de le voir confirmé par l’histoire ? Si l’histoire n’est pas seulement une succession de dates ou un amas de faits, mais encore un enchaînement d’opinions et une liaison de jugemens, je défie bien tout historien vraiment digne de ce nom de n’être pas plus ou moins, un casuiste. Car, on ne peut pas avancer en histoire une opinion qui vaille la