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dépense admise sans une recette correspondante, que chaque service devait avoir son affectation de ressources, que toutes ces choses marchaient ensemble. Paire voter aujourd’hui le budget des recettes pour l’année entière et une masse d’un milliard pour trois mois sans affectation légalement définie, c’est certainement une innovation des plus dangereuses, ou, pour mieux dire, c’est un retour au temps des procédés discrétionnaires, et, au lieu d’être en progrès, il faut l’avouer, nous voici en train de rétrograder. La politique républicaine fait de singuliers miracles ! mais il y a quelque chose de plus grave, de tout aussi périlleux du moins. Le gouvernement s’est fait allouer d’un seul coup un crédit d’un milliard. Comment M. le ministre des finances se chargera-t-il de répartir cette somme ? Quelle sera sa règle ? d’après quelles données agira-t-il ? La chambre des députés a supprimé des crédits affectée notamment à des services des cultes sur lesquels le sénat ne s’est pas prononcé, qui continuent à exister légalement, puisqu’il n’y a jusqu’ici qu’un vote partiel et incomplet. Ces services vont-ils disparaître dès ce moment ou seront-ils conservés ? Le gouvernement se propose, assure-t-il, de les maintenir provisoirement, sans les payer, en se réservant de demander au besoin, dans trois mois, des crédits supplémentaires. Et si ces services étaient définitivement supprimés dans trois mois, si les crédits supplémentaires étaient refusés, qu’en serait-il ? On n’échappe, on le voit, à une difficulté que pour tomber dans la confusion, et c’est ainsi que cette année, après avoir médiocrement commencé, finit par l’incertitude dans nos affaires de l’extrême Orient, par une loi qui menace le sénat dans son autorité, par un grand désordre et un aveu d’impuissance dans les affaires financières de la France. Pauvre héritage, que l’année nouvelle a le droit de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire !

Des agitations pour peu de chose, des incohérences de politique et de parlement, des désordres financiers, des malaises d’industrie, des entreprises dont on ne peut encore prévoir l’issue, c’est donc là tout ce que laisse à la France, en mémoire de son passage, cette année qui s’en va. Elle n’a peut-être pas été beaucoup plus brillante ni plus féconde pour l’Europe, pour tous les pays, grands et petits, qui forment ce qu’on est convenu d’appeler la famille européenne. Elle a été, il est vrai, une année de paix continentale, et la paix est toujours bienvenue pour les peuples ; elle ne lègue pas à l’année nouvelle de trop mauvaises apparences, des menaces de conflits à courte échéance. On ne peut pas dire non plus qu’elle ait marqué son passage dans la politique par des événemens bien saillans ou bienfaisans, par des actes de diplomatie propres à remettre l’équilibre ou la clarté dans les relations générales des nations. C’est une de ces années qui ne comptent pas dans l’histoire, qui passent sans dommage et sans profit, sans changer sensiblement les situations.