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demandé l’abrogation de la partie des lois de mai qui décrète en certains cas l’internement ou le bannissement contre les ecclésiastiques, le chancelier s’est aussitôt jeté dans la mêlée, prétendant rester armé dans l’intérêt de l’état et de l’empire : la proposition de M. Windihorst a cependant été votée. Un député de Posen a réclamé l’admission de la langue polonaise dans les débats judiciaires : les droits de la langue polonaise ont triomphé en dépit de toutes les résistances ministérielles. Il n’y a que quelques jours, M. de Bismarck s’est vu infliger un échec plus personnel encore à propos d’un crédit demandé pour le ministère des affaires étrangères. Il s’agissait tout simplement d’une modeste somme de 20 à 25,000 fr. pour le traitement d’un troisième directeur qu’il déclarait lui être nécessaire et dont on lui contestait l’utilité. M. de Bismarck a eu beau invoquer ses fatigues, l’état de sa santé, l’intérêt du service, l’extension croissante des affaires et des correspondances diplomatiques, élever presque une question de confiance : on n’a voulu rien entendre, il s’est trouvé une majorité pour refuser le crédit. Le parlement de Berlin, depuis quelques semaines s’est ainsi donné le plaisir et le facile avantage de remporter un certain nombre de victoires sur le chancelier. Il y a seulement une circonstance qui rétablit l’équilibre, c’est que le chancelier, à son tour, après un premier mouvement d’irritation, ne tient aucun compte de ce que vote le parlement.

C’est le régime constitutionnel tel qu’il est pratiqué en Allemagne ! Si les députés, dans leur sollicitude pour leurs propres intérêts, s’attribuent une indemnité, M. de Bismarck en sera quitte pour faire annuler cette résolution par le conseil fédéral. Si le Reichstag abroge d’un coup de scrutin les pénalités inscrites dans les lois de mai, il reste toujours la ressource de déposer provisoirement le vote aux archives jusqu’à ce que l’Allemagne en ait fini de ses querelles avec l’église, de ses éternelles négociations avec le Vatican. Si le parlement, par une boutade d’opposition, refuse un crédit jugé nécessaire, le chancelier trouvera bien les moyens d’y suppléer, et il a assez d’influence, assez de popularité dans le pays pour qu’il y ait eu une tentative de souscription publique qui était comme une protestation contre le vote du parlement. Que les députés usent de leur liberté de critiquer, le chancelier n’en fait ni plus ni moins. Il a un sentiment trop superbe de sa puissance pour se laisser arrêter par des coups d’épingle, parce qu’il appelle des misères imaginées pour lui rendre la vie insupportable, et il a au besoin la réplique acérée et hautaine à l’adresse de ceux qui le harcèlent trop vivement : « Votre majorité, disait-il l’autre jour encore d’un ton d’omnipotent irrité devant le parlement, votre majorité ne m’en impose pas du tout… vous ne ferez pas reculer un homme qui n’a pas reculé devant l’Europe… Je suis ici comme fonctionnaire, comme soldat au nom du