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On pourrait répondre, nous le savons bien, à ceux qui défendent l’unité du budget comme un principe, que c’est un principe bien contingent, puisqu’il n’a pour lui ni l’ancienneté, ni l’universalité. Il n’a pas l’ancienneté puisqu’il n’a été proclamé qu’en 1815, et encore, pendant tout le temps qu’on a mis à en assurer et à en perfectionner l’application, il a fallu le sacrifier par toutes sortes de raisons administratives ou autres. A partir de 1822, il parait avoir été définitivement reconnu ; il n’en a pas moins été violé très fréquemment par la nécessité de séparer eu deux la loi de finances, par l’obligation de recourir à des douzièmes provisoires et par la création de comptes spéciaux en dehors du budget : budgets d’emprunts, budgets extraordinaires, budgets de travaux publics.

On dira peut-être aussi que le principe de l’unité n’est pas universel. L’Angleterre passe pour avoir les meilleures finances du monde. Si elle a été la première à faire des folies financières et à se charger d’une grosse dette, elle a fait les efforts les plus sérieux pour la réduire. C’est aujourd’hui un article de foi en Angleterre qu’un parti politique qui n’a pas su faire face, avec ses revenus, à toutes les dépenses annuelles, y compris celles des expéditions lointaines que la politique coloniale entraine, doit abandonner le pouvoir au parti politique contraire.

Le budget anglais n’a cependant pas d’unité. Le mot même de budget n’a pas la même signification dans les deux pays. Chez nous, le budget est un gros volume qui contient tout et qui doit comprendre : dépenses ordinaires, extraordinaires, spéciales, ressources obtenues par les impôts, les emprunts, les combinaisons financières. En Angleterre, le budget est un discours. Budget est un vieux mot qui veut dire sac, et le chancelier de l’échiquier ouvre son sac au commencement de l’année financière ; il en tire un exposé qui conclut à la modification ou au statu quo des lois d’impôts. Voilà le budget anglais. Quant à l’état estimatif des dépenses, il se divise en quatre parties : la première est en dehors de la discussion et forme ce que nous appellerions un budget permanent, la seconde est le budget de la guerre, la troisième celui de la marine, la quatrième celui des services civils. On les discute les unes après les autres au cours de l’année pendant laquelle on les exécute, et il n’y a d’autre lien entre eux que le discours du chancelier de l’échiquier. Les Anglais n’ont pas besoin de documens comptables, ils préfèrent les enquêtes. Si un point est obscur dans l’administration, on ouvre une enquête ; on entend des fonctionnaires, des agens de l’administration, et les personnes qui ont de la compétence dans la matière dont il s’agit ; on cherche à savoir si la dépense est en rapport avec l’utilité ; toutes les dépositions sont reproduites dans de