Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un genre. Il s’agit de cette classe d’ouvrages qui obtiennent encore aujourd’hui la vogue sous le nom de « burlesques, » et qui tiennent du vaudeville, de l’opérette, de la féerie, de la pantomime et du ballet. C’est ce que Pope appelle le règne du chaos en littérature. Dans une caricature publiée en 1723, Hogarth nous montre les œuvres de Shakspeare, de Ben-Jonson, d’Otway, emportées dans une brouette, avec cette inscription : « Vieux papiers. » Pendant ce temps, les badauds assiègent les guichets de Drury-lane, où l’on donne Faust-Arlequin. Le titre raconte la pièce. Le « clou » de cette œuvre littéraire, c’était un véritable moulin à vent, avec de véritables ailes, qui tournait presque aussi bien que ceux de Notting-hill ou de Hampstead. Comme si ce n’était pas assez d’un Faust-Arlequin, il y en eut deux, joués simultanément à Drury-lane, et à Lincoln’s Inn (plus tard Covent-Garden). Ainsi s’établissait entre les deux maisons un concours d’insanité dramatique ; pour remporter le prix, les directeurs firent des efforts de génie. Dans un dessin de Hogarth, on voit le conseil d’administration de Drury-lane réuni, comme un conseil de ministres, autour d’une table verte, délibérant sur la possibilité de combiner la légende du docteur Faust avec l’histoire, trop réelle, de Jack Dalton, qui s’était évadé de Newgate par le tuyau du privé. Une seule chose nous étonne, c’est que les honorables administrateurs n’aient pas profité de cette suggestion.

Dans le dessin de 1723, Hogarth montre la foule qui se partage entre la pantomime et l’opéra italien. On aperçoit, dans un coin de cette caricature, le comte de Peterborough à genoux devant la Cuzzoni, et la suppliant d’accepter 8,000 livres sterling. Cette Cuzzoni, grasse et blême, avec un nez busqué et des yeux de velours noir qui troublaient le cœur de la jeune aristocratie, annonçait, par ses caprices comme par ses prétentions, nos cantatrices modernes. Elle avait une rivale, la Faustina, et Londres était divisé entre ces deux femmes ; il fallait être cuzzonite ou faustinien, comme on était hanovrien ou jacobite. C’est la Faustina qui l’emporta. Avec elles, on trouve fréquemment, dans les caricatures de l’époque, un grand garçon, gauche et mal bâti, au front bas, aux lèvres de nègre. Cette piteuse figure est celle du célèbre Farinelli, qui fit la joie de toutes les capitales et surtout de la cour de Vienne. On payait cher ces artistes. « Le gosier de la Faustina, dit une chanson, nous coûte, bon an mal an, 2,500 livres. » La Mingotti, qui occupa le monde de ses démêlés avec son directeur Vanneschi, apparaît, dans une gravure, adorée comme une idole par toutes les classes de la société. L’autel est formé d’un sac d’écus, qui porte, en étiquette, « 2,000 livres » : c’était le chiffre de ses appointemens pour une saison. Monticelli et les Visconti recevaient chacun 1,000 guinées ;