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que les procès-verbaux seraient écrits dans les deux langues, les lois rédigées en français ou en anglais, selon qu’elles auraient rapport aux lois françaises ou anglaises en vigueur. Les membres de l’assemblée se trouvèrent plus unis contre le conseil législatif, qui semblait vouloir empiéter sur leurs prérogatives ; elle déclara à l’unanimité qu’ayant les mêmes privilèges que la chambre des communes, l’initiative lui appartenait en matière d’impôts, que le conseil ne pouvait point modifier les bills de finances, mais devait se contenter de les approuver ou de les rejeter en bloc ; en même temps elle votait des droits d’entrée sur les boissons, afin de couvrir les dépenses de la législature. D’autres objets sollicitèrent son attention : l’instruction publique, l’administration de la justice, l’abolition de l’esclavage, un bill de tolérance religieuse en faveur des quakers. Seul ce dernier aboutit ; le bill sur l’esclavage ne passa point, parce qu’on s’en remit à l’opinion publique du soin de faire justice d’une institution si contraire au caractère canadien : en 1784, le nombre des noirs ne dépassait pas trois cent quatre, et depuis longtemps ils ont disparu de ce pays, sans qu’il ait été nécessaire de recourir à une mesure législative. Le bill sur l’éducation se trouva ajourné, parce qu’il se compliquait de la question des biens des jésuites, confisqués en 1776 ; on se contenta de demander au roi d’appliquer ces biens à l’instruction de la jeunesse, de leur rendre ainsi leur ancienne destination, puisqu’ils avaient été donnés autrefois dans cette intention par les rois de France.

Les années suivantes sont des années de calme, de tranquillité relative, presque de celles qui font dire que les peuples heureux n’ont point d’histoire. Très sympathique à la population canadienne, le gouverneur lord Dorchester lui fait une part dans les emplois, s’efforce d’entretenir l’harmonie entre les branches de la législature, publie de sages règlemens pour la vente des terres publiques, règlemens que la coterie mercantile réussit bientôt à éluder. Au reste, elle remet l’épée au fourreau, attendant une occasion favorable, tandis que, satisfaits d’avoir maintenu leurs positions, de se sentir traités avec douceur, indignés des crimes de la révolution française, les Canadiens se rapprochent du gouvernement. Déjà d’ailleurs la chambre prenait pour règle de donner aux lois la plus courte durée possible, de même que le parlement britannique vote pour un an le bill de l’armée, afin de ne pas permettre au gouvernement de se passer de lui. Chaque année, elle renouvelle à lord Dorchester ses pouvoirs pour former une milice soumise et assurer la tranquillité intérieure ; sous couleur d’intrigues réelles ou supposées de l’ambassadeur de la république française, il obtient de même la suspension de l’habeas corpus à l’égard des étrangers suspects, mesure qui plus tard fut étendue aux citoyens eux-mêmes