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l’anarchie politique, de la confusion de toutes les idées de gouvernement, c’est ce qui vient de se passer à l’occasion de la démission de M. le général Campenon et de son remplacement par M. le général Lewal au ministère de la guerre.

Pourquoi le dernier ministre de la guerre a-t-il donné sa démission ? Si on l’ignore, ce ne sera point assurément la faute de M. le général Campenon, qui n’a pas négligé de le dire. Il a fait ses confidences aux nouvellistes qui sont allés l’interroger, il a fait ses adieux à son personnel en prenant congé de lui. Il a multiplié les discours jusqu’à l’indiscrétion. Le langage qu’on lui a prêté a-t-il été réellement tenu par le dernier ministre de la guerre ? Il a été démenti timidement, il a été à demi confirmé. Au demeurant, M. le général Campenon a parlé assez pour que ses paroles aient été répandues et répétées partout, et qu’a-t-il dit ? Il n’aurait pas caché qu’il s’était trouvé en dissentiment avec M. le président du conseil, qu’il n’avait jamais été partisan des expéditions lointaines, qu’il n’avait pas envie d’immobiliser 30,000 hommes, peut-être plus, au Tonkin, qu’une guerre avec la Chine lui paraissait pleine de difficultés, qu’il était enfin beaucoup plus préoccupé pour la France de l’état de l’Europe que de l’extrême Orient ; il aurait même ajouté, dit-on, quelques indiscrétions peu obligeantes sur la politique de M. le président du conseil.

Ainsi, un ministre d’hier se croit permis de prendre le public pour confident de ses dissentimens avec ses collègues, de ce qui s’est passé dans les conseils du gouvernement ! C’est là ce qu’il y a d’extraordinaire et de parfaitement anarchique. Si M. le général Campenon pensait ainsi, que ne se retirait-il plus tôt ? S’il avait des explications à donner, que n’attendait-il d’être interrogé dans le sénat dont il est membre ? Tout eût été alors régulier. Ce qu’il y a de clair, c’est que M. le général Campenon laisse aujourd’hui un peu trop bruyamment à Bon successeur la tâche qu’il n’a pas voulu accomplir. M. le général Lewal est un esprit sérieux et réfléchi, connu depuis longtemps par de fortes études sur la réforme de l’armée, sur toutes les questions militaires. Il commandait, il y a quelques jours encore, le 17e corps d’armée, et il a dirigé l’automne dernier des manœuvres dont les états-majors de l’Europe se sont préoccupés. Il a surtout l’avantage de s’être tenu jusqu’ici en dehors de la politique. M. le général Lewal n’est pas vraisemblablement entré au ministère sans avoir fait ses conditions, sans s’être réservé le droit d’appliquer quelques-unes de ses idées sur l’armée ; mais, avant tout, sa première tâche est évidemment de faire ce que n’a pas fait M. le général Campenon, d’expédier des forces suffisantes pour en finir avec les affaires du Tonkin, et dès ce moment c’est le nouveau ministre de la guerre qui reste chargé sans partage de la direction des opérations. Tout ce qu’on peut souhaiter à M. le général Lewal, c’est un prompt succès préparé par le dévoûment de