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s’était attendu à voir arriver des Arabes ou tout au moins des Turcs avec leur armement et leur équipement de fantaisie ; quelle différence y avait-il des Français à ces renégats qui s’habillaient à peu près comme eux, et dont les armes et les habitudes militaires étaient tout à fait les leurs ? Pour apaiser des gens si susceptibles, le commandant Huder commença par transiger avec eux ; il leur sacrifia les tambours, mais il garda les baïonnettes. Ensuite il lui fallut négocier pour obtenir l’entrée de la kasba d’abord pour 30 zouaves seulement, puis enfin pour 45. L’instigateur de toutes ces difficultés était le Coulougli Sidi-Ahmed, chef d’une centaine de Turcs sur qui reposait la défense de Bône. C’était lui qui avait poussé les notables à demander aide aux Français, parce qu’il lui avait plu de s’imaginer qu’on n’enverrait d’Alger que des hommes dont il pourrait faire des recrues à son profit ; mais en voyant une troupe organisée, disciplinée, militairement française, il avait été pris de jalousie et d’inquiétude pour ses intérêts personnels ; il se sentait menacé de dépossession ; malheureusement le détachement qui lui causait tant de déplaisir n’était pas assez nombreux pour lui imposer. Cependant, après un premier mouvement d’humeur, il prit le parti de dissimuler : il consentit même à passer, avec ses Turcs, à la solde de la France. A la kasba il n’était plus le maître ; un officier de zouaves y avait le commandement. Le commandant Huder, charmé des marques de déférence que lui prodiguaient les notables, était plein de sécurité ; au contraire, le capitaine Bigot, qui, entendant l’arabe, saisissait au passage des propos malsonnans, ne cessait de presser le chef aux ordres duquel il avait ôté mis, de prendre quelques précautions élémentaires. Les portes étaient mal gardées ; celle de la kasba était toujours ouverte ; il n’y avait pas de lieu de rassemblement désigné en cas de besoin. Ce qui rassurait le commandant, c’était la tranquillité extérieure de la ville depuis son arrivée ; en effet, il n’y avait plus trace de blocus ; les vivres arrivaient en abondance ; le prix de la mesure de blé était tombé de 14 boujous à 7.

Il y avait dans Bône un homme aussi dangereux et encore plus ambitieux que Ahmed le Coulougli : c’était Ibrahim, un ancien bey de Constantine, dont l’influence sur les tribus de la campagne était restée grande. Ce personnage affectait la plus grande sympathie pour le commandant Huder ; il le voyait tous les jours, il lui dénonçait même les sourdes menées du coulougli, avec lequel il ne laissait pas néanmoins de s’entendre ; rivaux la veille, Ahmed et Ibrahim étaient présentement des alliés. La plupart des grands de Bône ne s’associaient pas à ces complots, mais ils n’osaient pas les dénoncer à l’autorité française. Le 24 septembre, dans une réunion chez Ahmed, il avait été décidé qu’une bande se présenterait dans