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qui servaient à faire des toiles grossières ; mais, si le prix de la filasse décroit, celui de la graine augmente, et c’est le cas de changer à temps son fusil d’épaule. Le colza souffre par la concurrence du pétrole et des graines oléagineuses (arachide, graine de coton et autres), qui arrivent d’outre-mer. Sa valeur a baissé de plus d’un quart. Dans le pays de Caux, on avait et on a encore l’usage de faire, sur une ferme de 60 hectares, 20 hectares de blé et 6 hectares de colza. Or, le produit brut du blé a diminué de 100 francs et celui du colza de 200 francs par hectare. C’est 3,200 francs de moins que donne la vente de ces grains. Pour ne pas compliquer notre compte, admettons que l’augmentation du prix du bétail compense celle des salaires. Il est évident que, pour avoir la même situation qu’autrefois, le fermier devra payer 53 francs de loyer de moins par hectare. Il est vrai qu’il pourrait modifier son vieil assolement et restreindre ses dépenses de main-d’œuvre, en développant la culture du fourrage et l’élevage du bétail. Mais pour cela il lui faudrait un bail de plus de neuf ans et un capital d’exploitation plus considérable. Nous reviendrons plus loin sur ces deux questions.

Les contrées où la crise est le plus grave sont les départemens du Nord, où la prospérité de l’agriculture, solidaire de celle de l’industrie sucrière, avait été le plus brillante pendant quarante ans. Le loyer et la valeur des terres avaient grandi proportionnellement au prix des betteraves. Mais la fabrication du sucre a subi le sort de toutes les industries qui donnent des bénéfices considérables ; ces bénéfices même leur attirent des imitateurs et, par conséquent, des concurrens ; et il arrive tôt ou tard un moment où la production surpasse les besoins de la consommation, c’est-à-dire une crise pendant laquelle les fabriques mal situées, mal outillées, mal dirigées et surtout celles qui sont endettées, se ruinent, tandis que celles dont les directeurs ont eu soin de perfectionner le matériel et de mettre de côté une partie des bénéfices comme fonds de réserve tiennent tête à l’orage. Pendant la crise, la production se ralentit, tandis que la consommation continue à s’accroître ; le mal lui-même apporte avec lui son remède et, quand le terrain est déblayé, les affaires reprennent ; les fabriques qui n’ont pas sombré retrouvent leurs anciens bénéfices ; celles qui ont fait faillite sont rachetées à bas prix par de nouveaux actionnaires qui réussissent là où leurs prédécesseurs avaient échoué. Ces alternatives de périodes à grands profits et de périodes difficiles se retrouvent dans l’histoire de toutes les industries. La crise sucrière est générale ; en Allemagne, on l’appelle le krach des sucres (Zuckerkrach). Mais partout il y a des fabriques qui ont fait encore en 1883 une campagne satisfaisante. Je pourrais en citer en France, mais nous en avons moins que les Prussiens et les Autrichiens, parce que nous avons plus de fabriques qui, à l’époque où elles faisaient des