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la totalité de notre consommation, et zéro pour une importation nulle. Entre ces deux extrêmes, la courbe des augmentations de prix serait une ligne parfaitement droite et inclinée de manière à démontrer que les droits d’entrée sur les produits étrangers ne font hausser le prix moyen sur les marchés français que dans la proportion où ces produits étrangers concourent avec nos propres produits à satisfaire aux besoins de notre consommation. Ainsi une augmentation de droit de 4 francs par quintal de blé étranger ne fera hausser notre prix moyen que de 1/10 de 4 francs, soit 0 fr. 40, si nous importons 1/10 de notre consommation, comme pendant ces dernières années, de 2/10 ou 0 fr. 80, si nous importons les 2/10 de notre consommation, de 1 fr. 20, si nous en importons les 3/10, comme cela s’est produit après l’année désastreuse de 1870, et ainsi de suite.

Comme le principe que j’essaie d’établir a une grande portée et que probablement il sera fort contesté, en voici une autre démonstration : Supposez deux bassins d’eau, l’un de 10 mètres carrés, l’autre de 1 mètre de surface. Ce second bassin est plus élevé que le premier, de manière à ce que l’on puisse y faire écouler l’eau qu’il renferme, et cette eau occupe une hauteur de 0m, 50 au-dessus du robinet qui permet l’écoulement. Croyez-vous qu’après cet écoulement complet, le niveau de l’eau aura haussé de 0m, 50 dans le grand bassin ? Non ; il n’aura haussé que de 0m,05. C’est la loi de l’offre et de la demande des économistes. Les droits d’entrée ne l’empêchent pas de se manifester ; ils diminuent l’offre, mais celle-ci n’en reste pas moins soumise, comme la demande, à des influences beaucoup plus puissantes que ces droits. Dans la période de 1821 à 1830 qui a suivi l’établissement de l’échelle mobile, le blé et la viande ont été à meilleur marché en France que pendant la période qui l’a précédée. L’effet de ces droits a été, non seulement atténué, mais annulé à la fois par les bonnes récoltes de blé que nous avons eues après 1820, et par l’augmentation de notre production de bétail. Un de nos plus savans publicistes a dit que la situation a changé depuis 1821, que la France produisait alors bon an mal an toute la quantité de blé nécessaire à sa consommation, et qu’elle avait même un excédent dans les années d’abondance, tandis que maintenant les importations sont nécessaires, même dans les bonnes années, et le prix du blé en France est réglé par celui du marché général. Le prix du blé en France n’a-t-il pas toujours été réglé par celui du marché général ? En 1821, il y avait plus de différence qu’aujourd’hui entre les prix des divers marchés qui composent le marché général parce que les transports coûtaient plus cher. Mais les lois économiques n’ont pas changé depuis cette époque. Du reste, nous en avons eu une preuve toute récente.