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L'IMPERATRICE THEODORA


I

A entendre Montesquieu et tous les historiens occidentaux s’indigner contre le despotisme, la dégradation, « le tissu de crimes et de perfidies » de l’empire d’Orient, on croirait que les peuples de l’Occident avaient alors recouvré les vertus de l’âge d’or, sous le règne de la justice et de la liberté. Or, quel tableau présente l’Occident pendant ce VIe siècle où vécut Justinien ? C’est la barbarie dans sa plus affreuse expression, la barbarie qui a perdu ses mœurs simples et ses quelques vertus au contact des races qu’elle a vaincues. Ce sont tous les excès de l’état sauvage combinés avec tous les vices d’une civilisation finissante. C’est partout le désordre, l’arbitraire, la violence, la dissolution morale, la misère publique. Chacun tremble pour soi au milieu de cette anarchie, depuis le souverain jusqu’au dernier des vassaux. Les rois, sans autorité à l’égard de leurs chefs de guerre, dont ils craignent les conspirations ou la révolte, sont sans pitié pour leur peuple. Tandis que les leudes francs ne daignent s’astreindre qu’a des contributions volontaires, alors que les ecclésiastiques menacent le roi de la colère céleste s’il touche aux biens du Seigneur, la masse de la population, lites germains, colons romains, vassaux gaulois sont accablés d’impôts, de redevances, d’exactions de toute sorte. Chilpéric avait coutume d’accompagner de cette recommandation ses ordres aux agens du fisc : « Si quelqu’un contrevient aux ordonnances, qu’on lui arrache les yeux. » Lorsque les rois et les leudes voyageaient avec leur suite,