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topographique, l’état-major de l’artillerie et du génie, l’agha, le nouveau bey de Titteri et leur suite. Deux sous-intendans, assistés de trente-trois officiers d’administration, dirigeaient le service administratif, subsistances, ambulances et campement. Le train des équipages conduisait vingt et une prolonges et trois cents mulets de bât. Un détachement de soixante-dix gendarmes, sous les ordres du grand-prévôt, constituait la force publique. L’effectif réel de cette petite armée était de huit mille hommes environ. Les troupes avaient l’ordre d’emporter des vivres pour quatre jours. Le fourrage, excepté pour les deux premiers jours, devait être fourni par les soins de l’agha. Les bataillons qui n’étaient point appelés à marcher étaient placés sous le commandement du général de Loverdo.

Le 16, avant la nuit, l’artillerie et les prolonges du train des équipages s’établirent en avant de Bab-Azoun ; le 17, au point du jour, toutes les troupes quittèrent leurs cantonnemens et s’engagèrent sur la route de Blida par Birmandraïs et Birkhadem, à l’exception de la brigade Achard, qui, partie des environs du fort Y Empereur, marcha par Dely-lbrahim et Douera. Vers midi, la colonne principale déboucha des collines dans la plaine ; ceux qui, comme le général Hurel, avaient accompagné, quatre mois auparavant, M. de Bourmont, avaient peine à se reconnaître. Ils n’avaient sous les yeux qu’un vaste marécage, une sorte de jungle envahie par le débordement de l’Harrach. Les soldats marchaient dans l’eau ; le sol détrempé cédait sous le poids des voitures. Enfin, à deux heures, on atteignit la Ferme du bey d’Oran, lieu désigné pour la grande halte. Ce fut là qu’on vit arriver le général en chef.

Dans sa nombreuse et brillante escorte, un jeune musulman attirait tous les regards : beaux traits, œil vif, physionomie ouverte, intelligente. Le costume bleu de ciel, brodé d’argent et de perles, les armes damasquinées, l’admirable cheval blanc harnaché de velours et d’or, tout pouvait soutenir la comparaison avec la magnificence de l’agha. Ce jeune homme, destiné à jouer un rôle brillant dans la guerre d’Afrique, s’appelait Jusuf. Son histoire, telle du moins qu’il se plaisait à la raconter, était un roman, un épisode des Mille et une Nuits. Il se croyait né, en 1808, à Livourne, d’un père français, employé supérieur de la police dans cette ville, et qui aurait suivi, en 1814, Napoléon à l’île d’Elbe. L’enfant, resté seul, aurait été, cette année-là même, enlevé par des Tunisiens et vendu à leur bey. Élevé au Bardo, favori de son maître, il aurait noué avec une de ses filles une intrigue dont un Grec aurait surpris et vendu le secret. Avant de chercher asile au consulat de France, il aurait commencé par arracher au traître les yeux et la langue, et il aurait déposé ce sanglant hommage aux pieds de sa maîtresse en