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revenir à Constantinople entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année. La prédiction d’une sorcière, confirmée par un songe, engageait Théodora à retourner dans la capitale. Elle avait rêvé qu’elle y épouserait le prince des démons et qu’elle aurait ainsi toutes les richesses de l’univers.

Ce prince des démons, selon Procope qui est crédule quand la vertu des femmes n’est pas en cause, c’est Justinien. Justinien était alors le plus puissant personnage de l’empire après l’empereur. Né en Dacie (vers 482 ou 483) d’une pauvre famille de paysans, il avait été amené encore enfant à Constantinople par les soins de son oncle Justin, qui, de simple soldat, était devenu, grâce à de valeureux services, comte, sénateur et commandant de la garde impériale. Un savant moine, nommé Théophile, fut chargé de Justinien et lui donna une instruction conforme au rang élevé qu’occupait son oncle. Justinien parlait avec éloquence et écrivait élégamment ; il avait des connaissances en musique et en architecture, et était surtout versé dans le droit et la théologie. Ambitieux à long terme, habile à distinguer le parti le plus fort et empressa à le protéger afin de s’en servir un jour, connaissant les hommes et sachant les utiliser, peu scrupuleux dans le choix des moyens, froid, patient, dissimulé, et jugeant sainement qu’une position même subalterne dans le palais où s’ourdissaient tant d’intrigues était un marchepied plus sûr vers les suprêmes honneurs qu’une charge importante dans les provinces, Justinien avait quelques-unes des bonnes qualités et presque toutes les mauvaises qu’il faut à celui qui veut monter vite et haut. Il est même présumable que ses conseils intéressés ne furent point inutiles à son oncle Justin pour garder si longtemps ses fonctions et pour obtenir enfin la pourpre impériale après la mort d’Anastase (518). Le nouvel empereur récompensa Justinien en le nommant coup sur coup sénateur, stratège, patrice, gouverneur (honorifique) de l’Afrique et de l’Italie, stratélate, enfin comte des gardes du palais. Ce fut à l’époque où Justinien était revêtu de toutes ces dignités (vers 521) que la fortune mit Théodora sur le chemin du neveu de l’empereur. Il s’éprit d’elle, et l’on peut croire qu’il triompha sans peine de sa vertu.

Au demeurant, il faut reconnaître que cette femme, dont la vue passait pour un présage funeste, ne fut point fatale à son amant. La première année de leur liaison, Justinien obtenait le consulat, et il l’obtenait dans des circonstances particulièrement heureuses. À cause des troubles provoqués en 520 par les rivalités des factions, on avait interdit les jeux pour tout le reste de l’année. C’était au nouveau consul de rouvrir l’arène, coup de chance qui établit la popularité de Justinien. La magnificence dont il fit montre