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c’est un démon sous la forme humaine, et entreprend sérieusement de le prouver ? La palinodie a paru si prodigieuse, que plusieurs critiques du XVIIe siècle, du XVIIIe et du nôtre même, ne pouvant croire à cet excès d’impudence, ont conjecturé que Procope n’est pas l’auteur des Anekdota. Bien qu’ils aient invoqué à l’appui de cette opinion des argumens assez sérieux, le témoignage de Nicéphore Calliste et de Suidas fait foi, et il reste établi que les Guerres, les Edifices et les Anekdota sont du même écrivain. Cette chronique scandaleuse n’en est point d’ailleurs beaucoup plus digne de créance. L’Histoire amoureuse des Gaules, les libelles contre Marie-Antoinette, les Mémoires du comte de Viel-Castel, n’ont rien d’apocryphe. Est-ce dans ces livres qu’on étudiera l’histoire de France ? Il n’y a qu’à opposer aux assertions de Procope pamphlétaire celles de Procope historien et celles des chroniqueurs byzantins pour surprendre nombre de fois l’auteur de l’Histoire secrète en flagrant délit d’imposture. Sans doute, il ne ment pas toujours. Bien des faits qu’il raconte sont rapportés par Malala, par Théophane, par la Chronique paschale. Il exagère, il amplifie, il dénature, mais il y a souvent un fond d’exactitude dans son récit. Si donc nous sommes forcés de reconnaître la véracité relative de Procope dans la partie de l’Histoire secrète qui concerne le règne de Justinien, comment admettre que les pages qui relatent la jeunesse de Théodora soient de pure invention ? C’est là au point de vue critique la seule raison, — et elle a bien sa valeur, — qui puisse faire tenir pour véridiques les récits de Procope sur les débauches de la future impératrice. Quant à l’argument que ces accusations sont trop invraisemblables pour qu’on ait pu les inventer, il est assurément plus spécieux que solide.

Mais combien de témoignages qui contredisent Procope sur ce point ! combien de probabilités en faveur de Théodora ! Nicéphore Calliste et Zonare disent que Théodora est née dans l’Ile de Chypre ; voilà pour détruire la légende du cirque des Verts. Le Pseudo-Gordien dit que Théodora était d’origine patricienne, de l’illustre famille Anicia ; voilà pour détruire la légende de la funambule. L’auteur anonyme des Antiquités de Constantinople dit que l’impératrice fit élever l’église de Saint-Pantalémon sur l’emplacement d’une pauvre demeure où elle avait vécu naguère du pénible métier de fileuse de laine ; voilà pour détruire la légende de la courtisane. D’ailleurs il ne convient pas de se trop prévaloir de ces témoignages qui, n’étant pas contemporains, sont par cela même sans grande autorité. Procope donne contre lui des armes plus sérieuses. S’il est vrai que Théodora ait été la vile prostituée dont le renom infâme était tel qu’on se détournait dans les rues pour la fuir, comment admettre que Justinien, sénateur, comte des gardes, et