Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sagesse de Théodora ; il le publiait même dans ses lois, où il nommait sa femme, en jouant sur les mots « son présent de Dieu. » Paul le Silentiaire, l’année de la mort de Théodora, adressait à l’empereur une pièce de vers où il rappelait que l’impératrice n’avait pas cessé de l’assister de ses conseils. Procope, Évagre, Zonare, la plupart des chroniqueurs byzantins s’accordent à dire que Théodora n’était pas seulement l’épouse de l’empereur, mais une impératrice souveraine, qu’elle était aussi puissante que l’empereur, sinon davantage : εἰμή ϰαὶ μᾶλλον (eimê kai mallon). Des faits nombreux confirment ces témoignages, et d’ailleurs l’empire déclina après la mort de Théodora. Donc, sans aller jusqu’à prétendre avec Brunet de Presles, ce maître es choses de Byzance, que Théodora « fut l’âme du règne, » il faut néanmoins attribuer à cette femme une part plus ou moins grande dans l’œuvre de Justinien législateur, architecte et conquérant.

Théodora, peu clémente aux hommes, était connue pour sa sollicitude, sa miséricorde, sa faiblesse même envers les femmes. C’est ainsi qu’elle se mêlait volontiers des mariages, qu’elle intervenait dans les ménages désunis, qu’elle contraignit Artaban, gouverneur d’une province d’Afrique, à vivre avec sa femme ; qu’elle accueillit avec faveur les malheureuses filles d’Hildéric, roi des Vandales ; qu’elle se montra trop indulgente pour Antonina, femme de Bélisaire. Théodora aurait donc inspiré à Justinien les nombreuses lois qu’il rendit en faveur des femmes : lois sur le divorce, l’inviolabilité des dots, le rapt des religieuses, l’hypothèque des femmes, la légitimation des enfans naturels, la répression du proxénétisme, lois libérant les comédiennes du servage perpétuel, autorisant les filles séduites à se faire épouser ou à exiger le quart des biens du séducteur, obligeant les dignitaires à constituer une dot à leur femme, réglant les droits des femmes dans les successions.

Magnifique comme l’était Théodora, on est assuré qu’elle ne chercha pas à arrêter Justinien dans ses immenses dépenses pour la reconstruction de la capitale détruite par les incendiaires. Loin de chercher à modérer la passion de Justinien pour les édifices, elle en faisait élever elle-même. On cite des églises, des forts, des orphelinats, de nombreux hôpitaux, construits d’après ses ordres exprès, ainsi que le fameux couvent du Bosphore pour les filles repenties. La charité de Théodora était parfois un peu tyrannique. La légende conte que quelques-unes des femmes qui, rachetées de la prostitution par l’impératrice, avaient été enfermées à la Métanoia, furent prises d’un tel désespoir qu’elles se jetèrent dans la mer. Ce n’était point seulement à Constantinople que s’élevaient les palais et les basiliques. Les frontières de la Perse, la Syrie, l’Égypte, la Cyrénaïque, la Numidie, l’Italie, témoignaient par leurs nouveaux