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faire nommer patriarches ou évêques des représentais de la doctrine d’Eutychès : Sévère, Anthyme, Théodose, Niersès. Mais sur les injonctions pontificales, ils ne tardèrent pas à être dépossédés de leurs sièges. Théodora ne s’avoua pas vaincue. Elle conçut l’idée d’agir au foyer même de l’orthodoxie. L’heure était propice. Bélisaire occupait Rome et Antonine s’y trouvait avec lui. Le général obéissant aux ordres de l’impératrice transmis par Antonine, exhorta le pape Silvère à condamner le concile de Chalcédoine. S’il s’y refusait, son successeur était tout prêt : un diacre ambitieux, nommé Vigile, qui avait naguère promis à Théodora de casser les décrets synodaux. Silvère résista ; il fut déposé et exilé en Lycie. Vigile, élu à sa place, commença à tenir ses promesses en envoyant des lettres de communion aux évêques hérétiques. Cependant Justinien, ayant appris ces événemens, donna l’ordre que Silvère fût ramené à Rome et rétabli dans son pontificat. Le nouveau pape se saisit de son prédécesseur et le fît interner dans l’Ile de Portia, où il le laissa mourir de faim. — L’histoire a durement reproché à Théodora d’avoir fait déposer le pape Silvère, mais elle n’a point pensé à accuser Vigile, qui occupa dix-huit ans la chaire de Saint-Pierre, de l’avoir à peu près fait assassiner.

L’impératrice Théodora mourut en 548, au mois de juin. Elle avait régné vingt et un ans. Son nom donné à plusieurs cités, des statues élevées par le peuple, des inscriptions érigées dans les églises glorifièrent sa mémoire. Victor de Tunes, qui ne pouvait pardonner à l’hérétique et à la persécutrice d’un pape, déclara que le cancer dont elle fut atteinte était un châtiment du ciel. Mais les chroniqueurs disent qu’elle mourut pieusement, et Paul le Silentiaire la compare à une sainte. — L’éloge n’est point seulement excessif, il porte à faux. Ce n’était point une sainte résignée qu’il fallait pour compagne à Justinien, c’était une femme d’âme virile qui lui communiquât son courage et sa fermeté. Théodora n’eut aucune des vertus d’une sainte, elle eut plusieurs de celles d’une souveraine. Mais les vertus gouvernementales n’allèrent pas chez elle sans les défauts et les vices qui en sont parfois les conséquences. Magnifique, elle fut prodigue ; habile, elle lut perfide ; autoritaire, elle fut tyrannique ; ambitieuse, elle fut sans scrupule et sans pitié. La destinée garde les peuples des Théodora, mais les donne parfois aux empires ! Le jour de la révolte des Nikates, une sainte se fat embarquée avec son époux déchu du trône. Ce jour-là, Théodora rappela l’empereur, les magistrats, les généraux au premier des devoirs d’état : la résistance à l’émeute triomphante.


HENRY HOUSSAYE.