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déchirer leurs habits et de manier des ordures. La camisole de force est employée de nuit pour certains agités qui, sans cette entrave, se découvriraient et prendraient froid ; elle l’est encore dans quelques autres cas, où la nécessité s’en impose au point de vue de la moralité.

Gheel a passé, comme tous les établissemens d’aliénés, par une période où les moyens de contrainte étaient largement utilisés. Ainsi en 1821, nous l’avons vu, Esquirol rapporte qu’entre autres il avait remarqué plusieurs aliénés maintenus par des chaînes de fer. Vers 1840 encore, le docteur Parigot vit à Gheel nombre d’aliénés se promenant dans les rues, porteurs de grosses et lourdes chaînes. Chose plus sérieuse, il vit certains malades présenter de graves complications chirurgicales dues aux blessures faites par ces chaînes. Aussi fit-il changer le poids et la forme de ces entraves, les modifiant de façon à ne point blesser l’aliéné. À ce point de vue, Gheel ne valait guère mieux que n’importe quel établissement fermé. Aujourd’hui, les chaînes ont disparu de Gheel comme de la majorité des asiles.

Il existe quelques cas où un nourricier a usé de moyens répréhensibles à l’égard d’un aliéné. Ainsi en 1880, un fils de nourricier a été condamné à quelques jours de prison pour avoir donné des coups de pied à une épileptique qui s’était couchée par terre et refusait d’avancer. M. le docteur Peeters cite encore un cas, mais où l’intention de maltraiter ne paraît pas absolument établie.

Du reste, pour en finir avec cette question des violences exercées contre les aliénés, il faut bien remarquer ceci, c’est qu’à Gheel chaque malade a, non pas seulement un ou deux surveillant, mais plusieurs milliers. Dans un asile fermé, un très petit nombre de surveillans suffit à la garde d’un nombre relativement élevé d’aliénés, grâce à la hauteur des murs et aux grillages qui barrent les fenêtres. Mais l’aliéné n’est guère surveillé par d’autres que ses gardiens. Si les cas de mauvais traitemens sont rares, ils n’en sont pas moins très certains, et on a dû déférer aux tribunaux des gardiens coupables d’avoir frappé et violenté des aliénés. À Gheel, cela est presque impossible. Il y a là une population intéressée de près ou de loin à ce que ceux-ci soient bien traités ; le nourricier a toujours des rivaux qui se hâteraient de profiter d’une violence ou d’une brutalité pour dénoncer le coupable et lui faire retirer son autorisation. Chaque Gheelois connaît tous les membres de la colonie, ou peu s’en faut ; il sait où il habite, il connaît son genre de maladie, il s’intéresse à lui, ou du moins il ne lui témoigne jamais que de la sympathie. Où trouver un tel nombre de gardiens et d’aussi bien dressés ?