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elle va repartir pour le couvent ; avant de céder la place, elle insulte Denise ; elle la traite d’intrigante et d’espionne : Denise, pour toute réponse, lui jure qu’elle la sauvera, fût-ce aux dépens de sa vie et de son honneur.

Le cercle se resserre où Denise et André, ces âmes douloureuses, se débattent, et, à mesure qu’il se resserre, l’anxiété aussi nous étreint plus fort. Mme de Thauzette, innocemment complice de Fernand, voudrait que tout s’arrangeât sans peine ; qu’André prit Denise pour femme et que Fernand prit Marthe : toute la maison serait contente. Avec sa diplomatie mondaine, elle annonce à Mme Brissot le bonheur prochain ; elle lui signale recueil où il peut encore se briser : André est jaloux ; si Denise lui raconte son « idylle » avec Fernand, il s’imaginera un drame coupable ; qu’elle soit discrète, qu’elle laisse faire sa fortune et celle des autres. Mme Brissot réplique à peine : la seule annonce de ce bonheur parait l’accabler comme une menace ; elle s’en remet à Denise, quoi qu’il arrive, de faire ce qui devra être fait. De nouveau, André interroge Mme de Thauzette : sur la tête de Fernand, sacrée à sa superstition de mère, elle lui jure qu’il n’y a rien eu entre Denise et son fils, rien de plus que ce qu’il sait comme elle. Évidemment elle est sincère, mais ne peut-elle être ignorante ? Pour parvenir à la vérité, André s’avise d’un dernier tour, à la fois égoïste et naïf, tel qu’un aveugle d’amour peut l’imaginer en effet ; il accorde à Fernand la main de Marthe : « Et maintenant que tu es de la famille, lui dit-il, notre honneur est commun. Puis-je épouser Denise ? N’as-tu jamais été son amant ? — Jamais. — Tu le jures sur l’honneur ? — Sur l’honneur ! » Alors André appelle le père et la mère de celle qu’il aime, il leur adresse sa requête. Le père, après quelques façons d’homme pauvre, accorde son consentement ; la mère parait terrifiée ; à peine si de ses lèvres tremblantes elle peut murmurer un « oui. » Denise est mandée ; Mme Brissot veut qu’on la laisse seule, en toute liberté d’esprit, écouter André et lui répondre. Elle le veut avec les mains jointes, avec des larmes dans les yeux ; elle se retire et emmène Brissot.

À ce coup, voici Denise et André face à face, en champ clos. Il déclare ses sentimens : elle les connaissait ; depuis longtemps, elle y a répondu tout bas par le don secret de toute sa vie. « Pourtant, ajoute-t-elle, jamais je ne serai votre femme. — Vous avez donc bien aimé Fernand ? — Apparemment, puisque je ne me crois plus le droit d’en aimer un autre. — Il épouse ma sœur. — Vous avez consenti ! . A quel propos avez-vous fait cela ? » Il avoue quelle fin il a recherchée par ce moyen. Alors Denise ne voit plus qu’une chose : la sœur de l’homme qu’elle aime, la créature à qui elle a fait offrande de ce malheureux amour va épouser un homme indigne, un traître, un larron d’honneur. Par un héroïque aveuglement sur tout le reste, elle n’aperçoit que cette fraude à prévenir, ce vol à empêcher : n’est-ce pas la