Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vrai que nos nerfs seulement sont intéressés par le récit de Denise, et que ce récit n’est qu’un artifice pour les ébranler ? Nullement. Il est assez naturel, nous l’avons dit, que Denise, une fois ses lèvres descellées, soulage son cœur ; il est naturel que toutes ses misères affluent à sa mémoire et qu’elle en fasse jusqu’au bout, à la première personne qui prenne pitié d’elle après sa mère, la déplorable confidence. Quant aux dégoûtés qui regrettent d’abord que l’auteur ait prêté un enfant à Denise et se contenteraient pour elle d’une faute sans conséquence, que leur dire, sinon que, par cet escamotage, leur hypothèse énerve le drame ? André est jaloux ; il subit depuis une heure l’hallucination de la faute commise : il faut que la preuve vivante en soit offerte à son esprit pour qu’il souffre plus et qu’ensuite sa victoire sur sa douleur soit plus belle. Ceux qui ne suivent pas si avant les desseins de l’auteur, ceux qui ne vont pas jusque-là dans l’intelligence du héros, Denise peut se consoler de passer à leurs yeux pour un mélodrame.

Dans cette tragédie, Racine trouverait à redire sur « l’élégance de l’expression. » M. Dumas a expliqué lui-même, par une métaphore, comment il écrit ses pièces : il peint du premier coup, en pleine pâte, pour obtenir des dessous d’une plus grande vigueur. Qu’il retouche ces dessous avec assez de force, qu’il pousse telle ou telle partie de l’ouvrage au degré de précision le plus souhaitable, je ne voudrais pas en jurer : la propriété, la finesse du style, qui en est souvent la meilleure force, lui font quelquefois défaut. Par son procédé, il esquisse à merveille, — et c’est assez de l’esquisser, — il fait parler comme il convient tel personnage de second plan : Mme Guichard, de Monsieur Alphonse, et ici Mme Brissot, peut-être encore Mme de Thauzette. Aux personnages de premier plan, comme André et Denise, et à ceux qui passent du second plan au premier, comme ça et là Thouvenin et Brissot, il ne prête pas toujours des contours assez nets ; il n’a pas à leur service un langage assez délié. Il leur donne bien, dans le dialogue coupé, des reparties d’un naturel qui fait illusion ; il leur donne aussi des mots qui ne sont que vulgaires, ou, pis encore, de mauvais goût ; dans le discours, il leur attribue volontiers, faute de mieux, une éloquence de publiciste où la justesse est rare. D’autres fois, où le discours excède ses moyens, il le remplace par un jeu de scène ; la mimique de Brissot, après la confession de sa fille, tient lieu d’un monologue à la don Diègue :


O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie !


Je sais bien que cette mimique est plus naturelle que l’artifice d’un monologue ; je sais que Diderot la préférerait. Il ne se tiendrait pas