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M. Dumas, l’auteur du Fils naturel et des Idées de madame Aubray. Pour lui, la qualité de fille-mère est un titre au mariage, et non pas seulement avec le séducteur, — il peut avoir cessé de plaire, — mois avec le premier honnête homme venu et le plus innocent, que la fille-mère aura choisi. Cet honnête homme est tenu de réparer le tort du voisin. Vous tous, célibataires, êtes voués aux filles-mères ; vous toutes, familles vertueuses, vous leur devez vos fils. Ainsi prêche M. Dumas dans son nouvel ouvrage : Denise n’est qu’une thèse dialoguée ; ô la détestable thèse ! »

Ce petit discours, beaucoup de spectateurs le tiennent de bonne foi. Il n’a qu’un tort ; c’est d’incliner depuis le commencement vers le sophisme, et à la fin d’y tomber. Ceux qui le murmurent prêtent à M. Dumas un décret aussi absolu que le leur : dans le fond de leur conscience, ils défendent que la fille-mère soit jamais épousée ; ils supposent que l’auteur, de Denise commande qu’elle le soit toujours. Il ne dit pourtant rien de pareil, au moins dans cette pièce, et, s’il en a touché quelque chose ailleurs, ils n’ont pas le droit de le savoir. C’est eux qui soutiennent une thèse contre l’ouvrage plutôt que l’ouvrage n’en soutient une contre eux ; au moins la leur est-elle plus despotique que la sienne : elle prétend s’appliquer à tous les cas.

La faute d’une fille, quelque fâcheux qu’en soit le dommage, n’abolit pas nécessairement et a jamais toute la valeur de sa personne ; tant vaut la femme, tant vaut le mariage ; il se peut donc qu’un honnête homme épouse une fille séduite : voilà tout ce que dit l’auteur, ou plutôt ce qu’il montre, voilà l’idée réalisée dans Denise. Réduite à son exacte portée, à Dieu ne plaise que je décline pour M. Dumas la responsabilité de cette doctrine ! Est-elle si téméraire ? Elle fait honneur à sa psychologie sans compromettre sa morale.

C’est pour animer cette doctrine qu’il a conçu cette pièce ; et, en effet, cette pièce est vivante. Ce n’est ni la thèse qu’on prétend, ni aucune thèse dialoguée : car les personnages, excepté celui de Thouvenin et, en quelques points, celui de Fernand, ne sont pas les porte-paroles de l’auteur ni de son antagoniste imaginaire ; ils existent pour leur compte. Ils sentent et ils raisonnent dans une tragédie domestique doublée « d’une sorte de drame moral, » l’une et l’autre tels que Diderot les souhaitait et qu’il n’a jamais su les faire. Rappelez-vous ses paroles : « J’ai quelquefois pensé qu’on discuterait au théâtre les points de morale les plus importans, et cela sans nuire à la marche violente et rapide de l’action dramatique. De quoi s’agirait-il en effet ? De disposer le poème de manière que les choses y fussent amenées, comme l’abdication de l’empire dans Cinna. C’est ainsi qu’un poète agiterait la question du suicide, de l’honneur,.. et cent autres. » N’est-ce pas une prophétie ? Aussi bien, cette « sorte de drame moral » étonnerait-elle, plus que