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entrevoir au pays que la république ne peut pas lui assurer l’ordre et le gouvernement régulier dont il a besoin, qu’elle doit fatalement se confondre avec l’anarchie des programmes révolutionnaires ; ils s’en préoccupent visiblement, et c’est là sans doute l’explication du langage de quelques-uns d’entre eux après comme avant les élections. M. Spuller, qui a été vaincu malgré un discours courageux, — ou peut-être à cause de ce discours, — n’a point hésité à dire devant ses électeurs qu’il ne s’agit plus de se nourrir d’espérances chimériques et d’illusions dangereuses, que la république doit avoir une politique nationale, être la république de tous et non d’un parti, qu’il redoute, quant à lui, le règne trop absolu de la démocratie, que ceux qui lui disent qu’elle peut tout la flattent et la corrompent. L’échec que M. Spuller a essuyé n’est point sans doute de nature à lui prouver qu’il s’est trompé en réclamant pour la démocratie une règle et un frein. M. Challemel-Lacour, qui a été victorieux dans les Bouches-du-Rhône, malgré l’intervention de M. Clemenceau et « autres personnages de marque » contre lui, M. Challemel-Lacour a écrit, au lendemain de son élection, une lettre où il flagelle de sa verve la plus acérée le « radicalisme sectaire et vide, » les H républicains purs et farouches. » L’ancien ministre des affaires étrangères ne cache pas son dédain pour la « puérilité de la politique de programmes, » pour le « Syllabus radical élaboré dans quelque consistoire de députés et exhibé pour servir de catéchisme à la démocratie, de guide-âne à ses élus. » M. Challemel-Lacour a l’ironie hautaine et tranchante contre l’extravagance révolutionnaire, même contre les « notables du Palais-Bourbon, » qui rédigent des consultations pour la province. Que signifie ce langage, si ce n’est qu’on sent qu’il y a dans le pays des craintes à apaiser, des vœux à satisfaire, un instinct profond et invariable des garanties nécessaires ? Pour tous le premier et le dernier mot, c’est qu’il faut à la France un gouvernement, de la stabilité, une politique de sens commun et de raison pratique. Si c’est là vraiment la moralité qu’on dégage des élections dernières, rien de mieux assurément, et si le ministère lui-même est disposé à s’inspirer de ces idées, ce serait encore de bon augure ; mais, c’est ici justement que ceux qui sentent le mal et qui parlent le mieux se trouvent dans une situation fausse pour trouver le vrai remède et pour agir.

Le malheur des républicains, depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est de s’être montrés aussi infatués qu’imprévoyans, de n’avoir compris ni la situation du pays, ni leur propre rôle, d’avoir abusé de tout et d’avoir même changé le sens des mots. Ils ont cru assurer la république et fonder un gouvernement en désorganisant toutes les forces sociales et politiques, en livrant toutes les garanties, en flattant des passions de parti et de secte, en cherchant leur appui non dans les opinions