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elle-même était en péril. Les défenseurs du fougon ne pouvaient reculer sans honte : ils devaient tomber où on les avait placés, se rappelant que derrière eux flottait l’étendard.

Au temps de l’empereur Léon et même au temps plus rapproché de nous des grandes républiques italiennes, quand la chiourme était libre, tous les rameurs devenaient au besoin des combattans. Ils se présentaient armés de pied en cap, portant boucliers, casques et cuirasses, brassards et cuissards : on leur donnait des javelots pour le combat à distance, des piques et des épées pour le combat corps à corps. Si les armures de fer venaient à manquer, on y suppléait par un justaucorps de buffle recouvert d’un fort tissu de cordes à boyau. Le dromon avait aussi ses archers et ses lithoboles. « Le caillou est une fort bonne arme, » observe, dans un des paragraphes de ses Institutions militaires, l’empereur Léon le Sage, qui ne semble pas avoir fait en personne l’épreuve de ses prescriptions : fort bonne peut-être avant l’invention de la poudre, mais la carraque de la Mecque, incendiée par Vasco de Gama à l’entrée de la Mer-Rouge et le galion de Manille assailli par Cavendish dans l’Océan-Pacifique apprendront à leurs dépens que les lithotioles, avec leur fameux cochlax, ne sont pas de taille à tenir tête à des bombardiers. Les Sarrasins eux-mêmes, dès le IXe siècle, ne se laisseront guère intimider par ces éclats de pierre. Ils croiseront leurs boucliers au-dessus de leurs têtes, recevront l’averse sur ce toit imité de la tortue romaine et attaqueront ensuite avec leurs épées et avec leurs longues piques des gens dont le bras se sera inutilement fatigué.

Au XVIe et au XVIIe siècle, les armes offensives se composaient d’arquebuses, de hallebardes, de masses d’armes, de piques et d’épées. L’épée à deux mains produisait, sur une arène aussi étroite et aussi encombrée que l’était le pont d’une galère, d’épouvantables ravages. On vit, à la journée de Lépante, le vieux Canale sauter de galère en galère et faire, à l’aide de son espadon, de larges abatis de Turcs devant lui. En fait d’armes défensives, les officiers portaient généralement la rondelle ou la targe, le jaque de mailles, avec le cabasset. On donnait aussi aux mariniers, — je dis aux mariniers et non pas à la chiourme, — cabasset et rondelle. Quant aux forçats, à moins qu’on ne les déferrât, comme on le fit à Lépante pour la majeure partie des esclaves chrétiens, ils restaient, entièrement désarmés, à leurs bancs, obligés d’étouffer leurs cris d’effroi et de douleur en enfonçant, sous la menace du fouet de l’argousin, leurs bonnets, — i barettini, — ou le tap, — morceau carré de liège, — dans leur bouche.

Sur les galères ordinaires, le nombre des hommes d’épée rangés à la poupe, à la proue, entre les barricades, ou disposés tout le