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l’on en connaissait jusqu’alors, et fixe en même temps deux dates avec certitude : celle de son entrée chez les bénédictins et celle de sa sortie de Saint-Germain-des-Prés. Un peu moins âgé que ne le croyaient ses supérieurs, Prévost n’avait que trente et un ans. Ce n’en était pas moins la cinquième fois qu’il changeait brusquement tout le train de son existence, et ce ne devait pas être la dernière.

Né le 1er avril 1697, à Hesdin, il avait fait ses premières études chez les jésuites de sa ville natale, et, au sortir de sa rhétorique, séduit par ses succès de collège autant que par ses maîtres, il avait pris l’habit de novice, — à peu près comme de nos jours on entre à l’École normale. Cette première ardeur s’était refroidie promptement, et, laissant là les bons pères, il était entré au service. Ce devait être en 1713 ou 1714, entre la paix d’Utrecht et celle de Rastadt, avant que la fin de la guerre, en lui enlevant l’occasion de se distinguer, lui eut ôté du même coup tout espoir d’avancement. Aussitôt la paix conclue, déposant donc le harnais, il avait repris la robe. Les jésuites, selon leur politique, l’avaient accueilli, disait-on, comme l’enfant prodigue, et lui, de son côté, avait payé leur indulgence d’une belle Ode à saint François Xavier. Mais déjà, selon l’expression de l’un de ses biographes, « un besoin impérieux, devant lequel tout autre se tait, même celui de la gloire, » avait commencé de le dominer. Il n’y tint pas, et, comme plus tard son des Grieux, après quelques mois de sagesse, pris au piège de quelque Manon, il retournait au métier des armes. L’histoire ici devient obscure, et lui-même, en y faisant quelque part allusion, ne l’a pas tout à fait éclaircie. Toujours est-il qu’en 1721, trompé, lassé, ou dégoûté, il entrait chez les bénédictins : « La malheureuse fin d’un engagement trop tendre me conduisit au tombeau : c’est le nom que je donne à l’ordre respectable où j’allai m’ensevelir… Cependant le sentiment me revint et je reconnus que ce cœur si vif était encore brûlant sous la cendre… La perte de ma liberté m’affligea jusqu’aux larmes. Il était trop tard. Je cherchai ma consolation dans l’étude… Mes livres étaient mes amis fidèles, mais ils étaient morts comme moi. » On a cité souvent ces lignes éloquentes ; on n’en a pas assez fait remarquer l’accent profond de mélancolie. Ce n’est pas ici du Rousseau, seulement, mais à trois quarts de siècle d’intervalle, c’est déjà du Chateaubriand, et René pourrait envier à Prévost le dernier trait de cette confession.

Si l’on sait qu’il entra chez les bénédictins en 1721 et qu’il en sortit, comme on vient de le voir, en 1728, on ignore ce qu’il y fit. Les biographes le promènent de Saint-Ouen de Rouen à l’abbaye du Bec, de l’abbaye du Bec au collège de Saint-Germer, « où il