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curieux est un tailleur, qui s’est fait chef d’escadron en vertu des services rendus dans la grande semaine, services dont il apporte des certificats signés des marchands de vin de son quartier. On a mis les meilleurs dans les diverses compagnies ; le surplus est ici, courant les cafés, sans liaison avec l’armée, qui ne les aime pas. » Un ordre du 12 février mit les premiers arrivés à la suite des bataillons de zouaves ; quinze jours après, on en avait déjà formé neuf compagnies. Au sujet précisément des zouaves, une fâcheuse nouvelle était arrivée en même temps que les Parisiens, c’était que les nominations faites dans ce corps et aussi dans l’état-major par le général en chef n’avaient pas été approuvées au ministère de la guerre, de sorte que les promus devaient redescendre à leur ancien grade ; la seule grâce qu’on leur faisait était de laisser entre leurs mains, à titre de gratification, la solde indûment perçue. Ferme et décidé, au milieu de la consternation générale, le général Clauzel n’abandonna ni son droit, qui était cette fois indéniable, ni les intérêts de ses subordonnés ; il réussit à maintenir l’un et à faire donner satisfaction aux autres ; il fit, chose rare, plier les bureaux du ministère. C’était La Moricière qui disait : « Je crains les bureaux ; les employés, pour moi, sont pires que les Kabyles. »

Tout le monde savait que le général Clauzel allait être remplacé ; les Arabes du dehors ne l’ignoraient pas plus que les Maures de la ville : aussi le prestige qu’il s’était flatté d’exercer sur les uns et sur les autres pâlissait-il un peu plus tous les jours. Le khalifa qu’il avait donné aux gens de Blida fut chassé par eux ; il est vrai qu’ils envoyèrent au général en chef une députation pour justifier leur conduite. Leurs griefs sont curieux à connaître : « Nous vous informons que notre gouverneur est cause de la révolution de Blida. Il a pris un mouton aux Beni-Sala sans le payer, et il a voulu faire tondre ce mouton pour rien ; il s’est disputé pour cela avec le cheikh de Beni-Sala. Il a donné une fête où il ne recevait que ceux qui lui donnaient de l’argent ; tous ceux qui n’étaient pas en état de lui en donner passaient la fête en prison. Il poussait le libertinage jusqu’à envoyer chercher les femmes par force, et, à cet effet, il employait six hommes dévoués. Il envoyait prendre tout ce dont il avait besoin sans payer. Nous avons entendu dire que vous aimez la tranquillité et la justice et que vous voulez que tout le monde soit heureux ; c’est pourquoi nous vous prions de nous renvoyer un homme juste, car celui-ci a causé la révolution. » Le général Clauzel n’envoya personne à des gens qui refusaient non-seulement de se laisser tondre, mais même de laisser tondre gratuitement un mouton volé : il abandonna ce problème délicat aux méditations de son successeur ; mais, pour faire acte d’autorité jusqu’à la