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sorte de ciment providentiel, en la confondant avec la religion, si bien qu’aux yeux des Canadiens, être mauvais, catholique, c’est être mauvais Français. C’est encore grâce à lui que les tribus sauvages ont à jamais enterré la hache de guerre, accueillent pacifiquement les visages pâles, et que l’administration les traite avec bonté, les assiste pendant l’hiver, respecte leurs territoires de chasse et de pêche, fonde pour elles et entretient des écoles où les enfans indiens apprennent, avec leur propre idiome, les élémens du français et de l’anglais. De là son influence si considérable qui se manifeste dans la vie sociale, d’une manière parfois un peu austère. En même temps qu’il se montre peu favorable au théâtre, dont le ton d’ironie perpétuelle affaiblirait, selon lui, le sentiment national et le culte pour la France, il cherche à empêcher les mariages entre catholiques et protestans. « Il n’a pu y parvenir, dit M. Fabre, qu’en créant un obstacle aux relations mondaines entre ces deux groupes sociaux. Cet obstacle, il l’a fait surgir en proscrivant des salons français la valse, et aussitôt on a vu s’éloigner à tire-d’aile la jeunesse anglaise. Cette ordonnance peut paraître puérile aux sceptiques : il n’y avait pourtant pas de meilleur moyen de mettre la société française, à l’abri des influences mondaines environnantes, influences plus puissantes que les plus patriotiques résolutions ; il n’y avait pas de meilleur moyen de défendre les jeunes Canadiennes contre les surprises du cœur. Les Anglaises ne vont guère dans les salons français, parce qu’elles s’y voient condamnées au quadrille perpétuel ; de leur côté les Françaises ne vont guère dans les salons anglais, parce qu’il leur faudrait se borner à regarder danser leurs heureuses rivales. » Cette sévérité toute puritaine a atteint son but, et à certains points de vue, il existe une véritable muraille de Chine entre les deux races : c’est ainsi que, dans son ouvrage sur l’instruction publique au Canada, M. Chauveau a pu très finement comparer l’état social de son pays à ce fameux escalier de Chambord qui, « par une fantaisie de l’architecte, a été construit de manière que deux personnes puissent le monter en même temps sans se rencontrer et en ne s’apercevant que par intervalles. Anglais et Français, nous montons comme par une double rampe vers les destinées qui nous sont réservées sur ce continent, sans nous connaître, nous rencontrer, ni même nous voir ailleurs que sur le palier de la politique. Socialement et littérairement parlant, nous sommes plus étrangers les uns aux autres que ne le sont les Anglais et les Français d’Europe. »

Les membres du clergé canadien ne se contentent malheureusement pas de déployer leur zèle contre les prétentions, souvent abusives, des ministres protestans ; ils se divisent eux-mêmes en