Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

populations locales ne seraient pas seules à profiter de ce changement. Le pays tout entier n’y serait pas moins intéressé par les revenus d’impôt que l’état en retirerait et plus encore par le grand bien-être matériel qu’y gagnerait la masse des consommateurs, obligés aujourd’hui de se priver d’une boisson alimentaire de première nécessité, ou d’y suppléer par des breuvages frelatés.

Au point de vue industriel, nos grands centres houillère et métallurgiques du Gard, de l’Ardèche et de la Loire seraient directement desservis par une voie maritime, ou tout au moins rapprochés de 200 kilomètres du port de mer qui expédie leurs charbons et leurs fers et les approvisionne de minerais étrangers. Une force motrice de 20 à 30,000 chevaux, pouvant être aisément quintuplée, serait également mise à prix réduit à la disposition des industriels, qui ne tarderaient pas à savoir en tirer parti.

Au point de vue commercial enfin, deux de nos grandes villes, Montpellier et Nîmes, seraient directement reliées à la mer par une voie de navigation de premier ordre, pénétrant à 50 lieues dans l’intérieur des terres, en attendant le jour probablement prochain où elle pourrait se prolonger jusqu’à Lyon d’abord, et plus tard peut-être beaucoup plus loin.

De tels résultats, comme on le voit, ne transformeraient pas seulement une région cruellement frappée, entre toutes, par un désastre agricole, ils auraient leur contre-coup dans la France entière, dont ils augmenteraient la richesse et le bien-être matériels dans une proportion infiniment supérieure au sacrifice pécuniaire que l’entreprise pourrait exiger.


V

Les avantages que je viens d’énumérer suffiraient à justifier le canal de grande navigation de la rive droite du Rhône. Des considérations d’un ordre plus élevé viennent le recommander encore.

Les grands travaux publics sont une des nécessités de notre ordre social actuel. Ils s’imposent comme un moyen de stimuler et de régulariser le travail individuel, en même temps que de donner un but et un emploi aux capitaux Accumulés par l’épargne privée. Nul ne songe à contester le principe du programme économique qui a été formulé à ce sujet ; mais, ce qui n’est pas moins évident, c’est que l’état ne saurait indéfiniment assumer la charge du budget extraordinaire des travaux publics, si ces travaux ou la plupart n’avaient pas un but réellement utile, s’ils ne devaient, tout en contribuant à l’accroissement de la fortune publique, amener d’une