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aux hôpitaux ; sur quinze cents places, onze cents étaient occupées ; d’urgence il en fallait préparer d’autres. L’ancienne maison de campagne du dey, près de Bab-el-Oued, dans une situation merveilleuse, avait été affectée comme résidence d’été aux commandans en chef. D’un mouvement généreux, le duc de Rovigo en fit l’abandon à l’intendance, et la somptueuse habitation devint le premier des hôpitaux militaires. Une autre transformation s’accomplissait en même temps : la mosquée de Hassen devenait l’église catholique. « Cette mesure, dit l’auteur des Annales algériennes, choqua beaucoup moins les musulmans qu’on n’aurait pu le croire, car notre indifférence religieuse était ce qui les blessait le plus. Ils furent bien aises de voir que nous consentions enfin à prier Dieu. »

Jusqu’au mois d’avril, la tranquillité s’était maintenue ; mais on touchait au ramadan, qui, en terre musulmane, est toujours une époque dangereuse ; dans ce pays-là, c’est assez d’une étincelle pour allumer l’incendie, et c’est inopinément, d’ordinaire, que jaillissent les étincelles.

Un ennemi déclaré du bey de Constantine Ahmed, le : cheikh El-Arab, le plus grand chef du Zab oriental, dont Biskra est la principale oasis, Farhat-ben-Saïd, avait envoyé à Alger une députation de neuf grands pour demander aux Français leur concours contre son adversaire. Sans prendre avec eux d’engagement, le duc de Rovigo leur avait fait le plus cordial accueil ; le 5 avril, ils étaient repartis chargés, comblés de présens. Le même jour, un peu au-delà de la Maison-Carrée, sur le territoire d’El-Ouffia, ils furent attaqués et dépouillés ; revenus à Alger, ils se plaignirent. La tribu d’El-Ouffia n’avait pas bonne réputation ; ce n’était pas la première fois que, dans le voisinage de son douar, des vols, des meurtres même avaient été commis ; elle était de plus soupçonnée fortement de provoquer la désertion dans le bataillon de la légion étrangère établi à la Maison-Carrée. Il y avait donc contre elle un préjugé grave ; une enquête sévère et prompte, le crime déféré à la juridiction militaire, telles étaient les mesures qu’aurait dû prendre aussitôt le commandant en chef. Malheureusement, à la justice il préféra la force, à l’équité française le procédé turc. Dans la nuit du 6 au 7 avril, 300 chasseurs d’Afrique et 300 hommes de la légion étrangère cernèrent le douar : tout fut saccagé ; hormis quelques femmes et quelques enfans, tout fut tué ; il y eut soixante-dix morts, parmi lesquels deux déserteurs allemands. « En pareil cas, disait un de ceux qui présidaient au massacre, il faut mettre son cœur dans sa poche. — C’était ainsi qu’on faisait au temps des Turcs, » répétaient les autres. Assurément ; mais alors pourquoi donc avoir dépossédé les Turcs ? Entre la facilité débonnaire et la répression sauvage n’y avait-il pas un moyen terme ? Tout n’était