Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la petite forteresse de Foug, fut condamné à une amende parce qu’un jour « il était alié voir sa charrue restée dans les champs. »

Que Jeanne, poussée à bout par une telle continuité de misères, ait éprouvé un redoublement d’exaltation, on ne saurait en être surpris ; la seule chose, au contraire, qui pourrait nous étonner, c’est qu’elle ait pu résister encore pendant près de six mois à l’appel, de plus en plus pressant, de ses voix. Un pareil temps d’arrêt, qui dut paraître si long à l’impatience de la jeune inspirée, n’admet que deux explications. Et d’abord, les projets de Jeanne ayant commencé à transpirer un peu au dehors malgré le soin qu’elle mettait à les cacher, ses parens déclarèrent bien haut que, loin d’y donner leur consentement, ils s’efforceraient, par tous les moyens possibles, d’en empêcher la réalisation. Jacques d’Arc fit un rêve où sa fille lui apparut au milieu d’une compagnie de gens d’armes ; à la suite de ce rêve, il crut devoir soumettre Jeanne à une plus étroite surveillance et alla jusqu’à dire à ses autres enfans : « Si je savais que la chose advînt, je vous diras : Noyez-la, et si vous ne le faisiez pas, je la noierais moi-même. » Durand Laxart, cet oncle que la Pucelle avait déjà mis dans la confidence de ses projets, dut alléguer des soins à donner à sa femme récemment accouchée pour obtenir la permission d’emmener sa nièce, qui partit, pour ainsi dire, à la dérobée, sans prendre autrement congé de ses parens. Une autre considération qui peut servir à expliquer le temps d’arrêt que nous signalons, c’est que Jeanne s’était bien promis, dès lors, de ne faire ses premières ouvertures à Charles VII et de n’inaugurer sa mission qu’à une époque de l’année qu’elle considérait comme sainte et bénie à double titre, à savoir pendant le carême qui devait précéder le grand jubilé du 25 mars 1429.

Quoi qu’il en soit, ce fut sur ces entrefaites que la nouvelle du siège mis par les Anglais devant Orléans dut parvenir dans le pays natal de la Pucelle, où l’on commença à suivre de très loin, il est vrai, mais non sans une anxiété croissante, les principales péripéties de ce siège. Au nombre des défenseurs de la ville assiégée figuraient plusieurs braves guerriers originaires de la région de la Meuse, entre autres Henri, bâtard de Bar, et cet habile canonnier, maître Jean de Montéclère, dit le Lorrain, que la justesse du pointage de sa coulevrine avait rendu si redoutable aux Anglais. Les Meusiens fidèles au roi de France attendaient avec d’autant plus d’anxiété l’issue des opérations engagées, que la reddition d’une cité réputée avec raison la clé de la Loire eût entraîné presque fatalement, on le craignait du moins, celle des autres places françaises situées au nord de ce fleuve et notamment de Vaucouleurs. Tandis que Suffolk, Talbot et Scales, arrivés devant Orléans dans les premiers jours de décembre 1428, en poussant les opérations