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Paul. » Elle ajoutait que l’assertion était « trop absolue. » On voit où l’orgueil s’était niché à ce moment-là.

Elle termina ses études et rentra à Griff à seize ans. Elle s’y retrouvait en plein courant anglican. Elle engagea avec son frère une controverse religieuse qui les mena à découvrir qu’un frère et une sœur peuvent être l’un à l’autre deux étrangers. Une séparation plus profonde que celle que crée la mort existait désormais entre la future George Eliot et Isaac Evans, jeune homme ordinaire et parfaitement content de rester ordinaire. Mlle Blind voit une allusion à la rupture finale dans ce beau passage d’Adam Bede. « Les ressemblances de famille contiennent souvent une profonde tristesse. La Nature, ce grand poète tragique, nous lie ensemble par nos os et nos muscles sans nous unir par le tissu plus subtil de (nos cerveaux. Elle mêle la tendresse à la répulsion ; elle nous attache par toutes les fibres de nos cœurs à des êtres qui, à chaque mouvement, les font douloureusement vibrer… Nous voyons des yeux, — hélas ! si semblables à ceux de notre mère, — se détourner de nous avec une froide aversion. » Quelques mois plus tard, Mary Ann perdait sa mère et était décidément enveloppée par l’atmosphère assoupissante de Griff. En cet état, dirigeant la laiterie et le ménage avec son amour inné de la perfection et les sentimens d’horreur que lui inspiraient les travaux domestiques, elle subit sa dernière grande secousse religieuse au contact d’une personne que tous les lecteurs d’Adam Bede reconnaîtront.

L’original de Dinah Morris se nommait Elisabeth et avait été une jolie fille, petite avec des yeux noirs et des cheveux bouclés, aimant les rubans et autres « superfluités du vêtement, » ainsi qu’elle s’en accusait plus tard en son langage de prédicateur. Dans la fleur de la jeunesse et de la beauté, elle fut touchée de la grâce. « Je vis, dit-elle dans son autobiographie, que mon devoir était de me consacrer entièrement à Dieu et d’être mise à part pour l’usage du Maître. » Elle se convertit et se rallia aux méthodistes. On sait que, dans la langue des sectes puritaines, le mot conversion a un sens particulier, sans aucun rapport avec le sens de passage d’une religion à une autre. Il désigne une sorte de miracle opéré dans le cœur du pécheur par l’influence du Saint-Esprit et dont l’essence est d’exalter les émotions religieuses. La même personne peut se convertir indéfiniment sans varier dans ses croyances théologiques ; à chaque opération elle ne fait que croire avec plus de vivacité et prendre, pour ainsi dire, un nouvel élan vers Dieu. L’élan de la charmante Elisabeth avait été si vif et si sincère, qu’elle arracha ses rubans et autres colifichets, coupa ses cheveux bouclés et se mit à parcourir les campagnes en prêchant. Elle allait de village en