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l’antique Hellade et à la Palestine. Pourtant il s’en souvenait comme d’un rêve : Athènes était une de ses patries et la Galilée une station de son âme. Voici qu’un monde énorme, étrange, troublant et gigantesque s’ouvrait à son imagination dans les profondeurs de l’Orient, il éprouvait devant lui les mêmes sensations qu’un homme transporté tout à coup sous ces masses colossales de l’Himalaya qui escaladent le ciel de leurs crêtes étincelantes. Le massif himalayen avec les vallées du Thibet occupe à lui seul plusieurs fois la superficie de la France. La panthère habite à ses pieds et l’aigle d’or qui plane sur ses flancs n’atteint pas à ses cimes, les plus hautes du globe. L’île de Ceylan, que Rama conquit avec une armée de singes contre le démon Râvana, selon la légende, est à elle seule un petit continent où toutes les zones sont représentées. Hommes et dieux se la disputent. À son sommet l’on peut voir l’empreinte colossale du pied d’Adam, de Brahma ou de Bouddha, selon la religion à laquelle on appartient. Ici tout dépasse les proportions connues : le pays, les monumens et la littérature. Les mesures ordinaires de temps et d’espace deviennent insuffisantes ; la chronologie de l’Inde est plus trompeuse que les mirages du désert. Dans la plaine de Delhi, la cité fabuleuse de Hastinapoura et la légendaire Indrapêchta jonchent de leurs débris vingt-six kilomètres carrés. Ces pagodes à demi écroulées, ces cryptes profondes, ces mausolées où l’on se perd, ces topes qui dominent de distance en distance la nudité du sol blanc sont le cimetière d’empires sans nom et de dieux oubliés. Qu’est-ce que Rome avec ses trois mille ans d’histoire devant ces ruines où dort une centaine de siècles écroulés ? — Quant à la poésie de cette antique littérature, la première impression qu’elle produit sur l’esprit occidental est celle de ces immenses forêts de l’Inde, peuplées de haut en bas d’êtres étranges et monstrueux. L’éléphant y foule sous ses pieds les bambous et les cèdres, le serpent s’y enroule autour des lianes, les singes espiègles s’y balancent sous les voûtes de verdure. L’homme submergé dans cette nature enivrante subit son souffle de vie et de mort. — Mais au fond de ces jungles il y a un personnage mystérieux, en apparence inoffensif, en réalité tout-puissant, qui fascine, effraie et mène tous les autres : le richi, l’ascète. Il se plonge en des spéculations métaphysiques d’une profondeur étourdissante. Il peut faire évanouir le monde comme un songe ; il dispose de la vie même des dieux par la force de sa méditation. Tous les êtres le craignent et l’adorent. Ce sage qui a renoncé à tout est un grand magicien ; c’est véritablement et à tous les âges le maître de l’Inde. — Le plus grand charme de ces poëmes héroïques, ce sont les ermitages délicieux qu’on rencontre en ces forêts terribles, où de sages et