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à tout ce qu’il entreprenait. Le temps n’avait ni affaibli ses résolutions, ni diminué l’amertume de ses regrets. Agité de sombres pressentimens, il croyait sa fin prochaine : il redoutait de n’avoir pas le temps d’expier sa faute et cherchait dans ses études religieuses une consolation et une espérance. La reine l’y encourageait. Elle connaissait mieux que personne cette nature impressionnable à l’excès, toujours en lutte avec elle-même, chez laquelle les aspirations les plus élevées se heurtaient aux appétits violens, les élans vers le bien aux vices héréditaires, nature complexe, mais si étrangement séduisante qu’on ne pouvait l’approcher sans sympathie, ni la connaître sans l’aimer.

La mort de mon chef, la gestion du poste, m’avaient beaucoup rapproché du roi. Je le voyais alors fréquemment et intimement. Spirituel et intelligent, il causait bien, avec tact et simplicité. Il avait beaucoup lu et retenu. Passionné pour la littérature anglaise il apprenait surtout Shakspeare, Tennyson, Dickens et Thackeray. D’un commerce aimable et facile, il était très aimé de ses inférieurs. Son attachement pour la reine avait quelque chose de chevaleresque et de touchant. Il adorait son fils. Le jeune prince était d’une santé délicate ; il portait la peine des excès de son père et Kaméhaméha IV suivait avec une sollicitude inquiète sa croissance lente et tardive. Dans les anxiétés qu’elle lui causait, il voyait le châtiment de sa faute, la peine du talion, et maintes fois, les larmes aux yeux, je l’ai entendu dire : « Je mourrai jeune, mais je verrai mourir mon fils. » Il ne se trompait pas. Le 27 août 1862, le prince de Havaï succombait à un accès de fièvre après une maladie de huit jours.

Le désespoir du roi fut navrant et, pour ceux qui le voyaient de pies, il n’était pas douteux qu’il n’avait plus lui-même longtemps à vivre. Par une singulière ironie du sort, le jeune prince expirait au moment même où la corvette anglaise Termageant amenait dans le port de Honolulu l’évêque anglican et son clergé ainsi que le consul général anglais et sa femme, chargés de représenter la reine Victoria et le prince de Galles, marraine et parrain du prince de Havaï, dans la cérémonie du baptême. Le coup ne fut pas moins terrible pour la reine Emma ; elle le supporta plus vaillamment, s’attachant à relever le courage du roi, demandant et trouvant des consolations dans ses devoirs de religion et dans ses œuvres de charité, qui l’absorbaient de plus en plus.

La mon du jeune prince de Havaï faisait du prince Lot l’héritier présomptif du trône. Ministre de l’intérieur, le prince Lot, s’il n’avait pas les qualités brillantes de Kaméhaméha IV, possédait une rare fermeté, beaucoup de bon sens pratique et une volonté