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avec jardins potagers. Cela vaudrait mieux que de solliciter des places ou de créer des industries précaires et aléatoires.

Quand la route que nous suivons se rapproche du Danube, elle devient charmante ; elle passe au pied de collines couvertes de vignes, de noyers et de chênes. De temps à autre apparaît une habitation entourée de pruniers. En Serbie, comme en Bosnie, les prunes séchées sont un grand objet de commerce. On en a exporté en 1881 plus de 12,000 tonnes, valant 0 fr. 50 le kilogramme. On fait aussi de l’eau-de-vie de prunes, la slivovitza, connue chez tous les Jougo-Slaves. La slivovitza commune, très faible, ne vaut que 0 fr. 20 le litre ; mais quand elle est concentrée, elle se vend 1 franc.

Nous changeons de chevaux à Grotchka. Près d’ici, les Autrichiens, sous le général Wallis, subirent en 1739 une humiliante défaite qui mit fin à la guerre de trois ans qu’ils avaient entreprise contre les Turcs. La force de résistance de l’empire ottoman était encore énorme à cette époque. C’est l’essai de s’assimiler notre civilisation qui le tue aujourd’hui. Nous arrivons vers midi à Smederevo. Quel aspect imposant présente sa vieille forteresse avec ses hautes tours du moyen âge, qui se dressent fièrement sur les bords du Danube ! Elle a été bâtie par George Brankovitch en 1432. La principale église, dédiée à Saint-George, a été construite par un architecte tzintzare. Les Tzintzares, comme je l’ai dit, sont les grands bâtisseurs de ces pays-ci. Grande activité sur le port : de longs bateaux plats embarquent des porcs, d’autres déchargent du sel de roche splendide, clair comme du cristal ; il vient des salines de Maros Ujvar en Transylvanie. J’y ai vu exploiter des couches d’une puissance de plus de 100 mètres, comme des carrières de pierres de taille. L’hôtel où nous dînons à l’autrichienne, c’est-à-dire très bien, est rempli de marchands serbes et hongrois. Sur les murs, des cadres, où s’étalent des femmes peu vêtues et en des poses par trop provocantes, ne donnent pas une haute idée des mœurs de Smederevo. Dans l’intérieur du pays, je n’ai rien retrouvé de pareil. Les gravures des murs représentent les saints nationaux, les souverains actuels et surtout les héros de la dernière guerre. En Serbie, la moralité est partout très grande, m’affirme-t-on.

Notre route quitte ici le Danube. Nous remontons les bords de la Jessava, qui forme une des bouches de la Morava, dont le bassin, ramifié en tous sens, comprend la plus grande partie de la Serbie. Sur les collines qui dominent Smederevo, j’admire de beaux vignobles. C’est l’auraus mons, planté de vignes, affirme Eutrope, par les soldats de l’empereur Probus. Un chemin de fer est établi, parallèlement à notre route, de l’autre côté de la Jessava : c’est un tronçon provisoire qui est destiné à amener les matériaux du Danube sur la