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pas assez enviable, pour qu’on s’efforce de reproduire dans la péninsule balkanique les causes qui ont fait naître les difficultés qui nous assaillent de toutes parts.

— L’étape de Pirot jusqu’à la capitale de la Bulgarie, Sophia, est longue et difficile à franchir, la route est mal entretenue et il n’y a ni poste ni relais. On m’a accordé que la voiture de Belgrade pourrait m’amener jusqu’à Sophia, mais trouverons-nous à changer de chevaux ? La question est grave, car récemment ici, le contrôleur général des finances, M. Queillé, a perdu l’un des siens, mort de fatigue en chemin. A la sortie de Pirut, jusqu’à la frontière bulgare, nous traversons une plaine assez bien cultivée, mais sans une maison de ferme, sans une habitation. Comme à Niseh, c’est la conséquence de l’administration turque qui portait les habitans à se réfugier dans les lieux écartés. La chaussée que nous suivons est plantée de saules. C’est la signature que Midhat Pacha a apposée sur les routes qu’il a fait construire. Des femmes se rendent au travail ; sur leur longue chemise se détachent un tablier noir et une ceinture rouge ; la tête est protégée par un mouchoir rouge à l’italienne, et sur le dos elles portent un enfant dans un sac. Plus loin, une petite fille dort dans un hamac suspendu aux saules, et un chien la garde. On laboure la terre où sont restées les tiges desséchées du maïs. La charrue est étonnamment lourde et grossière. Deux couples de bœufs la traînent en tirant sur des perches qui rattachent ensemble les deux jougs. Je remarque à un char attelé de deux buffles l’aspect ultra-primitif des roues. Les quatre parties qui en forment le cercle ou plutôt le « polygone » laissent entre elles un certain intervalle. On les dirait inachevées, et elles sont toutes ainsi. Le cocher me dit que c’est pour leur donner plus d’élasticité.

Nous entrons en Bulgarie, au poste de douane de Soukofeki-Most. On voit que ce n’est ni l’histoire, ni la configuration géographique, mais un traité qui a tracé ici la frontière. Rien ne l’indique, sauf deux poteaux. Comme nous voyageons dans une voiture de l’administration sorbe, les gendarmes bulgares nous présentent les armes et les douaniers ne visitent pas nos bagages ; mais j’assiste aux nombreuses formalités que l’on fait subir à un juif qui transporte, dans un grand chariot, des étoffes autrichiennes de Smederevo à Sophia. Quel long trajet et que de frais de transport ! Comme le chemin de fer sera bien venu ici ! La Serbie a jusqu’à présent un tarif douanier très réduit, qui ne dépasse pas de 3 à 5 pour 100 de la valeur et, chose exceptionnelle, il s’applique aussi aux exportations. Le tarif bulgare est plus élevé et a des tendances protectionnistes. Ainsi il frappe le vin d’un droit de 0 fr. 25 l’oka de 1 kil. 20 gr. Il en résulte que le vin, qui coûte à Pirot 0 fr. 20, se vend à Sophia 0 fr. 80