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monde. Ce que les lettres avaient perdu en pureté et en charme était compensé par la hardiesse des spéculations. Tout était remis en question ; mœurs, lois, croyances, on s’efforçait de tout ramener à la nature et à la raison, et l’on allait, les uns avec crainte, la plupart avec entraînement, au-devant d’un avenir qui devait être régi par la philosophie. C’était à la fois étrange et divertissant. Aussi avec quel intérêt ne suivait-on pas le travail qui s’accomplissait dans cette capitale où éclatait à chaque instant quelque surprise, un conte de Voltaire ou un discours de Rousseau, un livre de Montesquieu ou un volume de l’Histoire naturelle, les lourds in-folio de l’Encyclopédie et les mille brochures enfantées par les mille controverses. Avec quelle avidité ne recueillait-on pas à Berlin, à Saint-Pétersbourg, et à plus forte raison dans l’ennui des petites cours allemandes, les nouvelles de notre remuante et puissante république des lettres ! Cette curiosité, la presse ne pouvait la satisfaire. Elle était trop peu libre pour dire ce que l’on tenait précisément le plus à savoir. La Gazette de France, qui était officieuse, allait devenir officielle, et le Mercure était un privilège qui se donnait et se retirait. A part, d’ailleurs, les hardiesses de la philosophie, n’y avait-il pas les poésies libertines, les anecdotes grivoises, les scandales personnels, les dessous de cartes mondains de la politique, autant de choses dont on était doublement friand loin de Paris et qui ne se pouvaient imprimer ? C’est à commettre tous ces genres d’indiscrétion que les correspondances secrètes étaient destinées.

L’histoire de ces correspondances serait à faire. On laisserait de côté celles qui conservèrent une destination strictement personnelle, les lettres, par exemple, que les frères et les amis de la marquise de Balleroy lui adressaient pour égayer sa retraite de Normandie. On négligerait également les « nouvelles à la main » qui se rédigeaient dans le salon de Mme Doublet, et d’où sont sortis les Mémoires dits de Bachaumont. La Correspondance de Metra ne rentre pas davantage dans le sujet que je voudrais esquisser, mais plutôt dans la classe des journaux, étant imprimée comme eux et n’en différant que par le caractère anecdotique et par l’enveloppe cachetée sous laquelle les souscripteurs la recevaient. Avec Thiriot, au contraire, nous arrivons à la correspondance littéraire proprement dite, envoyée de Paris à des souverains étrangers, et destinée à les tenir au courant du mouvement intellectuel de la France. Thiriot écrivait pour Frédéric. Celui-ci n’était encore que prince héréditaire lorsque Voltaire lui donna son camarade de jeunesse pour correspondant. On métier peu lucratif ! Thiriot en était réduit aux espérances : « Le prince, lui écrivait Voltaire, doit, par vos