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de la Table-Ronde finissaient dans la caricature. Les paladins que l’Europe avait si longtemps vénérés se battaient, montés sur des ânes, en un tournoi de village. Roland ne cherchait plus Angélique, ne croisait plus le fer contre les païens : il bornait sa prouesse à disputer à un prélat glouton, avec mille injures, une sacoche de gibier, de charcuterie et de poisson. La satire littéraire, dirigée contre l’Arioste, la satire religieuse ; qui fait penser aux invectives luthériennes d’Ulrich de Hutten, marquent, dans l’Orlandino, une rupture définitive avec l’art du XVIe siècle. La poésie tournait au pamphlet. La haute inspiration reparaîtra plus tard avec le Tasse ; mais celui-ci fut le poète convaincu de la contre-réformation catholique, et il n’appartient plus à la renaissance.

La recherche de l’effet a été funeste à la peinture ; elle a pareillement nui à la statuaire des successeurs de Michel-Ange. Tandis que, dans la grande école de Venise et le Véronèse, la mise en scène, le décor d’architecture, l’ampleur éclatante des costumes, la richesse des accessoires, parfois aussi la familiarité de l’invention, altéraient de plus en plus la valeur religieuse des ouvrages de peinture, les peintres des écoles de Florence et de Rome gâtaient leurs tableaux par le parti-pris d’étonner le regard. On fit longtemps encore de beaux portraits, mais le secret des grandes compositions se perdit. Les anciens maîtres avaient toujours subordonné les personnages à l’ensemble ; chez les élèves de Raphaël et de Michel-Ange, plus tard encore, dans l’école de Bologne, la figure individuelle, lors même qu’elle n’occupe qu’une place secondaire, se détache vivement de l’ensemble, les yeux fixés sur le spectateur, afin d’en retenir plus sûrement la curiosité. L’effort des mouvements, l’intention dramatique des gestes que prolonge le jeu trop savant des draperies, l’abus des moyens pittoresques et bientôt du clair-obscur, les fausses grâces et les sourires affectés, tous ces défauts d’une peinture qui veut avoir trop d’esprit, rappellent singulièrement la poésie de cour, le sonnet maniéré et le fade madrigal où aboutissait dans le même temps l’art de Pétrarque.

Le mal était, d’ailleurs, irréparable, car les parties vitales du génie italien étaient atteintes. La catastrophe politique du XVIe siècle, l’asservissement de la péninsule, ne rend point à elle seule compte du naufrage d’une civilisation et d’une littérature, comme le fait, pour la France méridionale, la croisade des albigeois, car les excès et les folies du principat, qui décidèrent de l’Italie, n’étaient eux-mêmes que l’effet d’une cause invincible qu’il importe de considérer.

Dans un chapitre de ses discours sur Tite Live, Machiavel dit : « Nous autres Italiens avons à l’église et aux prêtres cette première obligation d’être sans religion et corrompus ; nous en avons une