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le vide religieux de la péninsule. Les âmes, désenchantées des vieilles croyances, et qui ne sont point mûres pour la négation absolue du surnaturel, se tournent vers la superstition, vers l’astrologie et la sorcellerie. Jadis Pétrarque, Jean et Matthieu Villani, Sacchetti, avaient nié l’influence des astres sur la vie humaine et s’étaient moqués des astrologues ; à la fin du XVe siècle et malgré les efforts de Pic de la Mirandole, tout le monde, philosophes, humanistes, hommes d’état, les papes eux-mêmes, croient aux conjonctions d’étoiles et aux prophéties qui s’en tirent. Jules II, Léon X, Paul III, font lire dans les profondeurs du ciel les destinée de l’église. Toutes les superstitions classiques, toutes les terreurs du moyen âge reparaissent. On croit aux présages puérils, aux revenants, aux courses nocturnes de fantômes sans têtes, au chasseur noir, à la descente des esprits malins sur la terre, à l’évocation des démons. Des dominicains allemands apportent, en Italie, les pratiques des sorciers ; un prêtre sicilien fait voir à Cellini des milliers de diables dans le Colisée ; Marcello Palingenio s’entretient la nuit, dans la campagne de Rome, avec des esprits, divi, qui viennent de la lune et lui donnent des nouvelles de Clément VII.

Nous pouvons apprécier maintenant l’état moral de l’Italie. Les consciences ne reconnaissaient plus de règle supérieure ; toute haute discipline était abolie, les notions chrétiennes de charité, de pudeur, de justice divine, étaient détruites ; l’église trahissait la cause de Dieu et avait perdu toute autorité apostolique ; la superstition inclinait les esprits vers le fatalisme païen. D’autre part, du spectacle de la vie publique, où primait seul le droit de la force ou de la fourberie, les âmes recevaient une perpétuelle leçon d’égoïsme et de licence. Il était bien permis à chacun d’être, dans le cercle où la fortune l’avait placé, à la fois renard et lion, puisque ceux-là seuls étaient heureux et enviés qui atteignaient, par tous les moyens, à la plus grande mesure possible, de puissance, de richesse et de plaisirs. L’individu qui se rit de la loi humaine et se réserve de faire sa paix, à la dernière heure, avec la loi divine est donc libre absolument pour la poursuite de son intérêt et de sa passion. Il l’est d’autant plus qu’il se sent encouragé par deux préjugés profondément italiens. L’un d’eux a été exprimé par le pape Paul III disant de Benvenuto : « Les hommes uniques dans leur art, comme Cellini, ne doivent pas être soumis à la loi ». Et l’uomo unico peut invoquer encore en faveur de ce rare privilège l’idée que son temps se fait de l’honneur. Guichardin écrit dans ses Aphorismes : « Celui qui fait grand cas de l’honneur réussit en tout, parce qu’il ne craint ni la peine, ni le danger, ni la dépense ; les actions des hommes qui n’ont point pour principe ce puissant mobile sont