Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il avait toujours été dans le fond, sa bonne conduite le faisait nommer sergent-major. La réparation avait été complète ; il était juste que la réhabilitation la suivît de près.


II

En ce temps-là, tous les yeux étaient déjà tournés du côté du Rhin, tous les esprits tendus, dans une patriotique angoisse, vers la guerre. Aux uns elle apparaissait comme le seul moyen d’en finir avec l’anarchie, de relever le roi de l’espèce de déchéance où les empiétemens de l’assemblée l’avaient réduit ; enfin, et surtout, de rétablir la discipline dans l’armée. Telle était en particulier l’opinion de La Fayette et des constitutionnels. D’autres, comme les girondins, poussaient au conflit dans un intérêt d’ambition et de popularité qui se confondait, en leur imagination romanesque, avec le souci de l’honneur français. Quant à la foule, dans son gros bon sens, elle sentait vaguement qu’il faudrait tôt ou tard en venir aux coups de canon, et d’avance il y avait en elle, à l’état rudimentaire et latent, comme une gestation de la Marseillaise qui la travaillait sourdement. Seuls, dans cette effervescence faite de calcul chez quelques-uns, inconsciente et toute d’électricité chez la plupart, quelques rares dissidens, deux surtout : Robespierre et Marat ; l’un jetant du fond de son trou ses cris d’oiseau de mauvais augure ; l’autre, à la tribune des jacobins, semant l’alarme, multipliant les sinistres prophéties, et, de son fiel à flots répandu, éclaboussant tour à tour tous les généraux en vue.

Ce n’est pas ici le lieu de rappeler les incidens qui provoquèrent la chute du ministère Duportail, l’avènement des Girondins et bientôt après la guerre. Il serait non moins superflu, sinon oiseux, de rechercher qui de la législative ou de la coalition eut les premiers torts et fut l’agresseur. Entre la France de 1789 et l’Europe féodale et monarchique, l’état de trêve armée pouvait bien à la rigueur subsister quelque temps ; tout accord sérieux et durable était impossible. La révolution, sous peine de n’être qu’une aventure, devait s’imposer aux puissances par la force ; les puissances, sous peine de voir leurs sujets se lever à leur tour, devaient écraser la révolution. L’occasion, d’ailleurs, était bonne pour s’arrondir aux dépens de la France, comme naguère en Pologne. Quoi qu’il en soit, l’agression, ou, si l’on préfère ce mot, l’initiative vint de Louis XVI ; bon gré, mal gré, sincère ou contraint, ce fut lui qui, dans la séance du 20 avril 1792, déclara solennellement la guerre au roi d’Autriche et de Hongrie et bientôt après au roi de Prusse.

L’armée, toute décimée qu’elle fût par l’émigration, était