Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Buxtehude, dont le style original présente avec celui des préludes de si frappantes analogies. Quant à ses modèles, il a pris soin de nous renseigner lui-même en leur empruntant des thèmes, en transcrivant leurs œuvres. On a trouvé, copiées de sa main, des pièces de Palestrina, de Frescobaldi, de Lotii, de Vivaldi, de Caldara, de Keyser, de Graun, de Couperin. Et ce n’étaient pas là des maîtres dont il n’y eût rien à apprendre. Dès ce moment, la langue de la musique était faite. Palestrina et Roland de Lassus avaient porté à sa perfection l’art d’écrire à plusieurs parties. Descartes, avant Rameau, avait posé les principes de la basse fondamentale ; Monteverde, en découvrant la loi de la tonalité, avait déterminé le véritable centre d’attraction des forces musicales et préparé ainsi l’unité de la composition : enfin le tempérament, audacieux compromis entre les tons dièses et bémols, venait d’ouvrir à la modulation des horizons sans limites. La période d’élaboration n’avait pas duré moins de quatre siècles. Comment, après avoir d’abord accompagné le chant grégorien en notes égales à l’octave et la quinte, l’idée vint aux déchanteurs gallo-belges du XIIIe siècle de faire servir les chansons populaires de leur temps à l’accompagnement du plain-chant liturgique ; comment ces accouplemens hideux suggérèrent peu à peu des combinaisons moins barbares ; comment la sélection en rejeta les élémens les plus imparfaits, comment, en au mot, la polyphonie du moyen âge engendra l’harmonie ; c’est ce que les excellens travaux de Bottée de Toulmont, de M. de Coussemaker et de l’abbé Morelot n’ont pas encore complètement éclairci. On reconnaît seulement pendant cette phase le double phénomène qui, partout, accompagne l’évolution moderne : la transfusion lente de l’idiome vulgaire dans la langue savante, l’action réflexe du Nord sur le Midi et du Midi sur le Nord, attestée par les continuelles migrations des artistes. Le contre-point naît dans le pays des Van-Eyck ; les Français Jehannot Lescurel, Guillaume de Machault, Josquin des Prés, Goudimel, le perfectionnent ; l’Italie s’y adonne la dernière et le transforme à son image, fondant que son génie simplificateur élimine, résume, subordonne, et tend à faire dominer au-dessus de toutes les parties un chant unique sur lequel se concentre tout l’intérêt, le particularisme allemand, devinant la formule de nos positivistes, cherche le progrès dans la complication croissante. Un vieux maître de chapelle provençal fixé dans la France du Nord, Annibal Ganter, disait ; « Il faut avouer que ceux de notre pays ont bien plus d’air en leur musique, mais ceux de celui-ci ont plus d’art en la leur, encore qu’il semble que l’un n’est pas bon sans l’autre, car en mariant l’art avec l’air, il y a de quoi contenter chacun. » La querelle, on