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considérations politiques que l’affaire comportait. Ces derniers l’emportèrent ; le mariage fut célébré au mois de juin 1509.

Quinze années se passèrent Les événemens avaient donné raison à ceux qui prétendaient qu’une union contraire aux lois divines serait maudite et stérile. Des nombreux enfans que Catherine avait portés dans son sein, la plupart étaient venus au monde avant le terme ; un seul avait vécu, et c’était une fille, la princesse Marie. Aigrie par le chagrin, vieillie par les infirmités, Catherine était plus mûre à quarante ans, en qualité d’Espagnole, que ne l’eût été une Anglaise de cet âge. Le roi, tout en continuant de lui témoigner de l’affection et de la confiance, avait cessé depuis longtemps de lui être fidèle. Il ne pouvait se mettre facilement en tête de la répudier, car il était toujours le fils dévot de l’église et le partisan sincère de l’autorité du pape. Sa dévotion au saint-siège était telle qu’il eut l’idée d’écrire un petit livre intitulé : Défense des sept sacremens. Précurseur des docteurs modernes de l’infaillibilité. Il allait jusqu’à soutenir qu’un pape ne peut jamais se tromper. Ce petit livre, lourd par le style et banal par la pensée, lui valut de Clément VII le titre de défenseur de la foi ; Luther l’accusa d’avoir blasphémé Dieu. Quant aux Anglais, les plus sages, et Thomas Morus le premier, firent observer à leur souverain que le moment n’était pas venu de soutenir une telle doctrine puisque tous les rois de la chrétienté étaient en guerre contre le pape. Henri VIII ne consentit pas à atténuer en quoi que ce fût la thèse qu’il avait adoptée.

Néanmoins, quelques mois s’étaient à peine écoulés qu’il consultait les théologiens de son entourage au sujet de la validité de son mariage avec Catherine. A l’infaillibilité du pape il avait une autre doctrine à opposer : les rois ne sont pas liés par les mêmes lois que les autres hommes. Il n’avait pas besoin d’aller loin pour trouver des casuistes qui fussent de son avis. Du reste, toujours fier d’avoir été comparé à saint Augustin et à saint Jérôme à l’occasion de sa Défense des sacremens, il prétendait que l’affaire fût discutée par les canonistes les plus savans. Tout en recommandant le secret, il permit à Warham de soumettre l’affaire à une assemblée d’évêques, qui, sauf un seul, déclarèrent que le cas était douteux. Henri VIII, étonné de cette décision, consulta les plus illustres docteurs en hébreu et en droit canon qu’on pût lui indiquer. Alors la réponse fut plus précise : interrogés si l’obstacle à une union entre beau-frère et belle-sœur avait pu légalement être levé par le pape, ces docteurs déclarèrent que le pape n’avait pas pouvoir de lever les prohibitions établies par les saintes Écritures.

La plupart des historiens d’Henri VIII ont raconté qu’il répudia Catherine d’Aragon par amour pour Anne de Boleyn, qu’il désirait épouser. C’est un récit que les faits contredisent. L’affaire secrète