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que la morale y perde rien. Il fallait, pour ménager ainsi les choses, une légèreté de main, une souplesse, un tact littéraire que nous ne saurions trop louer : toutes les espèces de tact nous sont chères ; coin-bien d’autres scènes, — combien de scènes du Monde où l’on s’ennuie, — nous donnerions pour celle-là !

Mlle Tessandier a repris son rôle de Julia Wacker ; elle le joue presque à la perfection, en comédienne de race, avec des intonations variées, délicates, originales, qui ne sonnent pas le théâtre. M, Jolly a recueilli le personnage de Fondreton : moins nuancé que M. Saint-Germain, il a de la désinvolture, de l’assurance, un débit drolatique et des grimaces facétieuses. Mlle Legault, depuis sept ans qu’elle avait joué Mme de Sauves, a pu acquérir du talent : elle reste froide, et sa froideur, aussi bien que la raideur de M. Montigny, qui n’est pas non plus sans mérite, a contribué à rendre indigeste la partie pathétique de l’ouvrage. M, Dieudonné, plus lent et plus gourmé qu’à son ordinaire, n’a que médiocrement aidé, sous le nom de Lahirel, au succès de la partie plaisante. M. Alexandre Michel, sous les cheveux rares de Désaubiers, manque d’élégance. Mlle Vrignault représente aimablement l’ingénue Geneviève, la sœur de Mlle Fondreton, celle qui, dans une jolie scène du troisième acte, vient trouver le célibataire endurci pour s’excuser des avances de sa mère, et, avec la résolution des timides, commence par lui dire en face ; « Monsieur Lahirel ! ., les jeunes filles ne sont pas des bêtes ! »

L’Odéon, pour renforcer Conte d’avril, a pris le soleil et la lune : Coup de soleil et Cynthia ; si les étoiles ne lui manquent pas, voilà un théâtre bien fourni ! Coup de soleil n’est qu’un badinage parfaitement honnête et assez spirituel, signé de MM. Albéric Second et Théodore de Grave, et qui pourrait bien être à la mode, l’automne prochain, dans les châteaux. Cynthia est une petite comédie en vers, ou plutôt une idylle mythologique, de M. Louis Legendre, dont j’avais signalé, l’art dernier, un à-propos qui passait l’ordinaire, Célimène. J’avais remarqué Chez M. Legendre des qualités de versificateur français, né sans doute et déjà exercé pour la comédie ; c’était de quoi prédire, avec des chances, que sa mythologie ne serait pas celle de M. Leconte de Lisle et de ses disciples : il ne prétend pas, en mettant la déesse au théâtre, nous faire ressentir les émotions religieuses qu’éprouvèrent jadis les adorateurs d’Artémis et de Diane. Aussi bien Anémia ou Diane, ou Cynthia encore, c’est tout un pour lui : il mêle sans scrupule aux noms latins de Jupiter, de Mercure et de Minerve le nom hellénique d’Éros ; sa mythologie est à la française, c’est-à-dire de fantaisie, aussi bien que l’aventure qu’il nous expose.

Diane, longtemps farouche, s’est éprise colin du chasseur Hylas, une sorte d’Hippolyte d’humble condition et purement forestier ; elle le