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UN
AMIRAL DE VINGT-QUATRE ANS


I

« Valeureux Othello, nous allons vous employer contre l’ennemi du genre humain : le Turc a préparé une expédition formidable contre Chypre ; il faut que vous partiez cette nuit même. Laissez un officier derrière vous : il vous portera nos ordres. »

C’est ainsi que, quarante ans après le départ de la flotte du sultan Sélim II pour Limasol, Shakspeare faisait parler le sénat de Venise. Depuis près d’un siècle, la république exerçait la souveraineté directe sur l’île conquise en 1191 par Richard Cœur-de-Lion : cette possession était la garantie de son commerce avec le Levant ; si on la lui enlevait, les pavillons chrétiens, cruellement molestés déjà par les Barbaresques, se trouveraient bientôt exclus du bassin oriental de la Méditerranée. Le trouble et l’incertitude règnent dans le conseil. « Il n’y a point, dit le doge, d’accord dans ces nouvelles. — En effet, remarque un sénateur, les chiffres cités dans les diverses dépêches ne sont pas les mêmes : mes lettres parlent de 107 galères. — Les miennes, reprend un autre, en mentionnent 140. — Et moi, interrompt un troisième, on m’écrit 200. » Qu’importent ces divergences ? Tous les rapports confirment l’apparition d’une flotte ottomane dans les parages qui avoisinent le canal de Chypre. En ce moment, arrive un nouveau messager : « L’armement turc, dit-il, se dirige vers Rhodes. » Rien de plus vrai : les Ottomans, en vidant l’Archipel, ont mis le cap sur Rhodes, mais