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faire disparaître des lettres compromettantes ; elle en avait chargé Mme d’Épinay, qui trouva en effet le moyen de les brûler, mais qui se vit plus tard accusée d’avoir soustrait, du secrétaire auquel elle avait en accès, des papiers relatifs à une créance sur son mari. Toutes les apparences étaient contre elle, car elle avait en la clé du meuble, elle ne pouvait avouer l’usage qu’elle en avait fait, et la disparition des pièces dont il s’agissait tournait à l’avantage des siens. Il y eut même dans le monde des personnes qui félicitaient l’époux d’avoir été si bien servi et par une main si avisée. L’affaire fit grand bruit ; on tenait généralement Mme d’Épinay pour coupable, ses proches mêmes avaient peine à se défendre des soupçons ; on ne peut, en un mot, imaginer de position plus cruelle. C’est sur ces entrefaites que Grimm, dînant chez le comte de Frise et entendant les propos qu’on tenait sur une femme qu’il connaissait peu encore, mais dont il avait deviné le mérite, ne put s’empêcher de protester contre la facilité avec laquelle on accueillait des bruits injurieux pour elle. Il alla jusqu’à exprimer le mépris que lui inspiraient des gens si pressés de croire le mal. Ce propos ayant été relevé par l’un des convives, les adversaires descendirent dans le jardin de l’hôtel, se battirent et furent tous les deux blessés, sans gravité toutefois. Ce duel redoubla pour le moment le bruit qui se faisait autour de Mme d’Épinay, mais ce n’en était pas moins un témoignage qui s’élevait, sinon précisément en sa faveur, du moins contre la légèreté et la cruauté des attaques auxquelles elle était en butte. Ajoutons que son innocence fut peu après reconnue, grâce à la découverte, entre mains tierces, des papiers qui avaient donné lieu à tant de suppositions et de commentaires. Il ne restait de toute cette aventure que la conduite généreuse de Grimm et la reconnaissance qu’elle était faite pour inspirer. Mme d’Épinay, en effet, le voit désormais plus souvent et avec un intérêt tout particulier ; elle se plaît à l’appeler son chevalier ; grand hasard si entre le jeune étranger, encore meurtri des dédains de Mlle Fel, et la séduisante Louise, navrée comme elle l’est des infidélités de Francueil, le duel de l’hôtel de Frise ne finit pas par amener « une liaison. »

Grimm se montre d’abord dans le rôle de conseiller. Mme d’Épinay, en ses nombreux chagrins, recourt à l’homme qui avait défendu sa réputation, qui s’était acquis par là des droits à sa confiance et qui lui en inspirait, d’ailleurs, par toute sa manière d’être. Grimm eut fort à faire à diriger la pauvre femme au milieu des difficultés que lui suscitaient à chaque instant ses bonnes intentions aussi bien que ses inconséquences. Il fallait éconduire Duclos, tortueux, cynique, amoureux en dessous, qui faisait sa cour en