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me demande de quoi je me mêle, je dirai que je voudrais que toutes les bonnes actions, toutes les choses bien faites fussent votre ouvrage[1]. »

La duchesse se montra aussi favorable que possible au dessein de Grimm. Elle lui répondit qu’elle s’emploierait aux démarches dont il s’agissait avec ardeur, avec transport, avec zèle. Elle ne croyait nullement le succès impossible, disait-elle, et promettait de saisir le premier moment favorable pour s’en ouvrir à Frédéric. Ces bonnes dispositions se trouvèrent inutiles. L’affaire avait été engagée, et plus directement encore, par un autre personnage du monde philosophique. Le roi de Prusse, qui désirait faire la connaissance d’Helvétius, l’avait invité au commencement de cette année à venir le trouver. Helvetius se rendit à l’invitation et arriva à Berlin dans les premiers jours d’avril. Il n’avait point quitté Paris, cependant, sans avoir reçu des ducs de Choiseul et de Praslin la confidence du désir qu’ils éprouvaient de renouer avec la Prusse, et la mission de tâter le roi à ce sujet si l’occasion s’en offrait. Quelque étranger que, de son propre aveu, il fût aux affaires, Helvetius s’y prit assez adroitement et trouva, au cours d’une conversation, le moyen de glisser quelques mots sur l’intérêt égal des deux cours à être bien ensemble. Frédéric, après avoir commencé par exhaler plaintes et récriminations, entra dans la voie qui venait de s’ouvrir et chargea le philosophe de transmettre une proposition au gouvernement français. Celui-ci y mit un peu plus de roideur qu’il ne convenait peut-être, insista pour que Frédéric s’engageât par écrit, et la négociation traîna. « Il est arrivé une réponse vague, écrit Grimm à la duchesse, et qui ne signifie rien. On m’a encore parlé de Votre Altesse, et j’ai là le passage de la lettre dont vous m’avez honoré ; mais je ne veux ni ne dois marquer aucun empressement à cet égard, car si l’on doit avoir recoure à Votre Altesse, il faut conserver à ses bons offices le caractère essentiel d’un service signalé rendu avec un zèle gratuit et désintéressé[2]. »

Au commencement de 1766, tout paraissait rompu : « La négociation du père de L… est absolument tombée. Il me semble que son ami, à qui il a rendu visite l’année dernière, a changé du blanc au noir dans le courant de cette négociation et ne s’est plus absolument soucié de la terminer. Si Votre Altesse pouvait lui faire entendre raison sans se compromettre et sans compromettre ceux en faveur desquels elle daignerait faire cette démarche, je pense que nous en serions fort aises ; mais nous sommes fiers, et après nous

  1. Lettre du 7 Juin 1765. C’est par erreur que l’article de la Revue historique attribue cette lettre et cette partie de la négociation à Helvétius.
  2. Lettre du 2 septembre 1765 (inédite).