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la distance qu’il y a de M. le baron de Grimm à M. le comte de Ferney et à M. le comte de Buffon. Au reste, je ne voudrais pas me ruiner pour cet honneur éminent, et comme le prince de Kaunitz m’a fait l’accueil le plus distingué, je ne désespérerais pas de l’intéresser en ma faveur. Monseigneur le landgrave y pourrait influer aussi sans doute. »

Grimm est assez naturellement préoccupé de cette question des frais de chancellerie, et il ne néglige rien pour en obtenir la diminution. Le grand-duc de Toscane, qui est du nombre des souscripteurs de la Correspondance, pourrait intervenir à la cour de Vienne où sa protection serait toute-puissante. Grimm apprend que le duc de Deux-Ponts, frère de la landgrave, est en bons termes avec le prince de Colloredo, le vice-chancelier impérial, qui « peut modérer la taxe comme il lui plaît, » et il demande à Caroline d’en parler à ce frère. Un de ses amis connaît le baron de Fries, banquier de la cour d’Autriche, et Grimm met ce banquier en mouvement. Tous ces efforts finirent par réussir ; les lettres patentes furent expédiées, et la landgrave se chargea de la dépense, ainsi que notre homme y avait certainement toujours compté. Une affaire de 4,000 florins, parait-il. Il est vrai qu’on pouvait être nobilité, ou avoir un prédicat, comme on s’exprimait à Vienne, pour 400 florins seulement. Mais le prédicat n’aurait rien ajouté aux prérogatives dont jouissait Grimm comme attaché à la personne du duc d’Orléans, tandis qu’une illustration telle que celle dont il venait d’être l’objet justifiait toutes les ambitions. Notre homme était désormais Monsieur de Grimm et baron du saint-empire. Ses amis ne manquèrent pas de s’en amuser. Diderot enchérissait et l’appelait le marquis. J’imagine que le nouveau noble se consolait facilement des quolibets ; chacun porte en sa pensée un monde de choix, le monde de ses désirs, de ses rêves ; et ce monde, pour Grimm, n’était plus dès lors ni la Chevrette ni le Grandval.

Grimm paraît s’être bien tiré de ses fonctions pédagogiques. Il était fait pour le maniement des caractères, et, en général, pour la conduite des hommes. L’élève, de son côté, offrait peu de difficultés, ou du moins peu de résistance. On lui eût seulement voulu plus de vivacité, moins de cette « paresse de tête qui aime mieux retenir de mémoire que de réflexion. » Les principes de son guide, en matière d’éducation, étaient éclairés. « Pourvu que le prince s’applique, pensait Grimm, il est presque indifférent que ce soit à tel objet ou tel autre. Il s’agit de mettre en valeur une bonne terre, mais qui n’a rien encore porté ; pourvu qu’elle soit défrichée et travaillée, je ne serais pas difficile sur l’espèce de grains qu’on y sèmera. » Il s’élève, dans une autre occasion, contre un besoin exagéré de distractions. « Est-ce qu’on ne doit pas apprendre à