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la terre, et cependant jamais la fièvre jaune, ce terrible minotaure que l’Européen rencontre dans le Nouveau-Monde, ne s’y est montrée. Loin de moi la pensée de vouloir amoindrir le seul, mais dangereux ennemi de l’Européen à Madagascar ; toutefois il me répugnerait aussi de lui donner des proportions effrayantes et indignes d’une saine appréciation. La fièvre de Madagascar est une maladie sérieuse avec laquelle il faut compter. Il est bien rare que l’étranger qui séjourne une année sur ce sol encore neuf ne paie pas son tribut à l’acclimatement. La fièvre de Madagascar n’est rien autre chose que le résultat d’une intoxication paludéenne, revêtant des formes ataxiques, avec une marche souvent rapide quand des soins intelligens ne sont pas apportés à celui qui en est atteint. C’est cette marche rapide qui lui a fait donner aussi le nom de fièvre pernicieuse[1] … »

Mais, nous dit-on, l’influence des miasmes telluriques ne se fait sentir que sur le littoral, sur une étendue de 12 ou 15 lieues vers l’intérieur ; dès qu’on a dépassé cette zone pour pénétrer dans l’intérieur, le pays s’assainit, et des voyageurs ont même assuré que, sur les plateaux du centre, dans la province d’Aukova, occupée par les Hovas, le climat était aussi salubre que celui de la France : il faut donc, disent les apôtres de la conquête, éviter de faire séjourner nos troupes sur le littoral, afin de les soustraire aux influences paludéennes, et les diriger tout de suite vers l’intérieur pour attaquer les Hovas dans le centre même de leur puissance. C’est encore une erreur qu’il serait dangereux de laisser s’accréditer ; suivant l’auteur si compétent que nous venons de citer : « Il importe de rectifier une opinion communément admise par ceux qui se sont occupés de ce pays, que les côtes seules étaient sujettes à l’action des fièvres. Cette assertion n’est pas exacte. Dans l’intérieur de l’île, l’étranger est aussi exposé à contracter des fièvres qu’à la côte, et cela provient sans doute de l’extrême déboisement dont Madagascar a été le théâtre et à la présence de nombreuses rizières qui occupent le fond de toutes les vallées internes. Il reste à peine à Madagascar la moitié des forêts qui couvraient jadis cette grande île. Ces déboisemens insensés ont entraîné plusieurs graves inconvénients : un excès de température dont on se ferait difficilement une idée pour des régions aussi élevées que le sont les contrées de l’intérieur, dont l’attitude varie entre 1,800 et 2,500 mètres, et le germe des fièvres entretenu par la conversion de la plupart des vallées en rizières, foyers d’effluves et de miasmes délétères moins redoutables peut-être que ceux des côtes, mais dont

  1. Docteur Lacaille, Connaissance de Madagascar. Paris, 1863 ; Dentu.