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terres qu’une invasion d’Esquimaux ou de nègres ; et que les compagnons qui, à Preston-Pans, suivant le témoignage de Johnstone, avec leurs haches de Lochaber, tranchaient les jarrets des chevaux et coupaient les cavaliers par le milieu du corps, ceux-là justement avaient pour chefs, pour capitaines et conseillers, auprès de lairds aussi barbares qu’eux-mêmes, des lords qui eussent fait bonne mine à la cour, — et non-seulement un Balmerino, qui, dix mois après, sur le point d’être pendu et écartelé, au cri du gouverneur anglais : « Vive le roi George ! » répondit par cet autre : « Vive le roi Jacques et son digne fils ! » — mais un Lovat, qui, sur l’échafaud, prononça hautement ce vers d’Horace :


Dulce et decorum est pro matria mori !


Ce peuple, avec ses contrastes, il est le héros multiple et divers de notre poème, et c’est justice. Voilà pourquoi, plutôt que de porter le nom de Charles-Edouard ou de quelqu’un des personnages qui l’entourent, cette tragédie, d’une souplesse et d’une ampleur singulières, a pour titre : les Jacobites. Le dernier mot : « fidèle, » qui doit être gravé sur une tombe, c’est à eux tous, selon l’esprit de l’ouvrage, qu’il doit servir d’épitaphe. La lutte de leur fidélité, c’est le sujet que l’auteur met en scène : les combats qu’elle livre par telle ou telle main seront les divers momens du drame ; s’il s’en trouve un, dans le milieu, plus important que les autres, ce n’est pas une raison pour qu’il soit le dernier ; l’action ne finit qu’avec la fidélité de ce peuple, fidèle jusqu’à la mort.

Les yeux sur cette idée, résolu à composer son œuvre d’après ce système, M. Coppée nous montre d’abord, représentée par un groupe de montagnards, la nation d’où il tire bientôt quelques personnages, symboliques encore que vivans, destinés à l’honneur de sentir, de parler, d’agir définitivement pour elle. Toute l’Ecosse, en vérité, serait rassemblée dans ce cimetière de village que nous ne sentirions pas plus vivement les souffles contraires dû l’esprit public : c’est comme un parlement à ciel ouvert, un champ de Mars improvisé, qui se tient dans ce champ de repos.

Des highlanders, au début, s’arrêtent devant la porte de l’église, entre les tombes où dorment leurs pères. L’un d’eux, un homme dans sa force, Duncan, leur annonce que le prince est débarqué : s’il paraissait ici brusquement, n’est-ce pas sûr que les lames sortiraient du fourreau toutes seules ? — Non pas ! répond un vieillard, il est bien vrai que l’étranger nous opprime et nous dévore ; il est vrai que l’amour de la liberté, au fond des cœurs, est toujours le même ; si une chance de succès était offerte à la révolte, elle éclaterait encore ; mais quoi ! on sait trop ce que ces précédentes épreuves ont coûté, combien elles