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être sur quelques points un désaveu des manifestes radicaux, M. le président du conseil refuse de s’engager à la suite des réunions plénières ; il ne craint pas d’avouer les difficultés financières, la nécessité d’augmenter les impôts, et bravement il biffe l’impôt sur le revenu de son programme ; il a le courage d’avouer que la séparation de l’église et de l’état est une solution « à laquelle il parait certain que la majorité des Français n’est pas actuellement favorable. » Il parle ainsi ; mais en même temps, il se paie de cette éternelle banalité de la concentration des forces républicaines, il croit toujours pouvoir gouverner avec ceux qui lui proposent ou qui veulent lui imposer ce qu’il repousse. De sorte qu’en fin de compte M. le président du conseil n’a satisfait personne, ni les modérés ni les radicaux. Il reste entre tous les camps avec sa bonne volonté et son impuissance, et la France en est encore à attendre la un des crises intérieures que l’aveuglement des partis ne lui ménage pas.

Ce qu’il y a de plus tristement caractéristique, c’est que dans tous ces conflits, dans ces incohérences de partis, aussi turbulens et aussi vains qu’ignorans, il n’y a pas seulement le dédain de la vérité, l’oubli de toute équité politique dans les affaires intérieures, il y a souvent aussi une sorte de dépression du sentiment français, une trahison futile des traditions d’influence d’un grand pays. Les questions les plus sérieuses sont subordonnées à de petites stratégies, même à de simples calculs électoraux, ou à des impatiences de représailles contre un ministère tombé, ou à de mesquines défiances à l’égard d’un ministère qui ne se rend pas aux premières sommations des tacticiens de réunions plénières. On sacrifie tout à la passion du moment, et c’est ainsi que cette malheureuse entreprise du Tonkin, qui a été certainement un des griefs du pays dans les dernières élections, mais qui ne restera pas moins un intérêt français, risque aujourd’hui d’être compromise dans une chambre où tout est traité à l’aventure, sans réflexion et sans prévoyance. Que veut-on faire du Tonkin et de l’Annam ? Le ministère, en se laissant aller, dans sa déclaration récente, à bien des concessions sans profit pour son crédit, s’est cru néanmoins obligé à mettre quelque réserve dans son langage. Il a désavoué les systèmes d’expansion coloniale, les expéditions lointaines ; il n’a pas promis l’abandon du Tonkin. de nos possessions de l’Indo-Chine, il a tout au plus laissé entrevoir des projets assez peu définis de protectorat ou d’occupation limitée selon les circonstances, et, pour mettre la chambre en mesure de se prononcer, de l’aider à avoir une politique, il a demandé des crédits ou, si l’on veut, un simple virement de crédits transférés de 1885 à 1886. La chambre, à son tour, s’est hâtée de nommer une commission extraordinaire composée de trente-trois membres, et, dans les discussions qui ont précédé le choix des commissaires ou qui s’élèvent encore aujourd’hui dans la commission même, qu’a-t-on vu ? Il s’est trouvé tout d’abord